Google, miroir des préjugés

Le 16 août 2012

Google Suggest est une fonctionnalité du moteur de recherche permettant de compléter automatiquement sa requête selon la popularité des recherches avoisinantes. Et qui est également une mine d'or pour comprendre comment fonctionne le cerveau des gens. Carte du monde des préjugés.

On vous a parlé des questionnements métaphysiques de Renee DiResta dans le 43e épisode des Data en forme : comment les Américains se voient-ils eux-mêmes ? [en]. Au départ, une expérience un peu geek avec une méthodologie simple : on commence à taper “pourquoi l’Utah est si” dans Google et on note les suggestions affichées par le moteur de recherche. Et on récidive avec les 50 états. Avec des résultats parfois cocasses, pathétiques ou révélant juste la nature humaine : “pourquoi le Kansas est-il aussi venteux”, “plat”, “chiant” ou “humide” ou encore “pourquoi la Californie est-elle si libérale”, “fauchée”, “anti-armes” ou “chère”.

Le procès suggestif de Google

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Sous l’aspect initialement un peu blagueur, le billet de blog nous a semblé tellement frappant de bon sens que nous avons décidé de tenter l’exercice avec différents pays du monde — et plus précisément différentes populations du monde — pour évaluer la perception générale du public francophone, ou du moins les questions que “nous” nous posons sur ces différents pays.

Les poils des Portugais(es)

Première question que pose la carte : le niveau mental des (questions que les) Français (se posent). On tangue entre primaire et collège. Coincé entre un inexplicable “pourquoi les Portugaises pètent” et un subodorant “pourquoi les Suisses sont lents”, ce minable “pourquoi les Anglais roulent à gauche” fait vraiment pâle figure. Mais c’est sans compter sur les ressources des plus facétieux d’entre-nous, repérés illico par Google et mis en vedette par la poilante fonctionnalité : “pourquoi les Belges jouent au tennis avec des boulons” fait clairement référence à une blague de CM2, tandis que ce “pourquoi les Australiens n’ont pas la tête en bas” ferait plutôt référence à ces questions existentielles que les adultes de 6 ou 7 ans se posent parfois lorsqu’ils entrent dans la vraie vie.

Photo CC by-nc-sa Daniela Hartmann

Des lueurs d’espoir

Derrière l’incroyable pénibilité de la plupart des interrogations humaines enregistrées par le moteur de recherche le plus humain du monde, quelques mouvements neuronaux donnent envie de croire que l’humanité n’est pas complètement perdue. Ainsi, cet échange “pourquoi les Algériens détestent les Marocains” et “pourquoi les Marocains n’aiment pas les Algériens” est, sans aucun doute, la lame de fond d’une évidente tentative inconsciente de rapprochement et de compréhension mutuelle entre les peuples.

Un intrigant “pourquoi les Iraniens ne portent pas de cravate” sent bon la tolérance et le désir de connaître les habitudes vestimentaires d’autrui ; un touchant “pourquoi les Allemands ont bombardé Guernica” et un interrogateur “pourquoi les Japonais ont attaqué Pearl Harbor” sonnent comme un besoin de savoir d’où viennent les plus grands malheurs du monde pour mieux se souvenir de ne pas les oublier. Quant à ces multiples “pourquoi les Françaises sont belles”, “pourquoi les Polonaises sont belles”, et ainsi de suite avec les Suédoises, les Tunisiennes, les Roumaines ou les Italiennes, ils donnent tout simplement l’espoir que les peuples se regardent enfin avec des yeux compatissants et attendris.

Ou pas

Reste à comprendre d’où viennent les autres relents. D’où peut-il venir à l’idée du Français moyen que “les Anglaises sont moches” ou que “les Allemandes ne s’épilent pas”. Comment peut-il venir à l’esprit de l’internaute que les Françaises, apparemment “coincées”, “aiment les Noirs”. Que “les Algériens sont nerveux” et “les Italiens sont racistes”. Que les Chinois puissent à la fois être “moches” ET “jaunes”. Que “les Tunisiens aiment les blondes”.

Une somme grotesque de préjugés considérables qui enverraient même le Danemark directement aux meilleurs des cieux (“pourquoi les Danois sont-ils heureux”, “sont-ils si heureux”, “sont-ils plus heureux que les autres”). Pas mal pour un pays où les 50-54 ans se suicidaient quasiment deux fois plus qu’en Grèce, qu’en Espagne ou qu’en Italie en 2009.

Tout ceci est dans Google Suggest. Aussi certain que tous les Portugais s’appellent Manuel et tous les Vietnamiens se nomment N’Guyen.


Étude : Nicolas Patte – Carto : Julien Goetz /-)
Photo CC [by-nc-sa] Daniela Hartmann

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