Le vendredi noir de la sécurité

Le 20 mars 2012

Avant ce vendredi, les entreprises de sécurité doivent déposer leur procédure d'agrément auprès du nouveau conseil chargé de réguler le secteur. Une première étape dans la normalisation de ce secteur, entaché d'affaires peu glorieuses, et destinée à écarter les sociétés à la limite de la crapulerie. Mais à quelques jours de l'échéance, les acteurs ne se précipitent pas.

Sécurité privée d’État

Sécurité privée d’État

Un nouveau conseil des sages des sociétés de sécurité privée, le Cnaps, est installé ce 9 janvier pour tenter de ...

Sécurité privé, fin du premier coup de balai ce vendredi. Dans la cadre de la mise en place, en janvier dernier, du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps), chargé de nettoyer encadrer le secteur, les sociétés de sécurité et les dirigeants ont jusqu’à ce vendredi pour déposer un dossier de demande d’agrément ou d’autorisation. Et ça promet. À titre d’exemple, en Haute-Garonne, 15 jours avant la date limite, seules 34% des entreprises avaient déposé la demande.

Le chantier qui attend le Cnaps est vaste, tant les dérives sont nombreuses. Et certains donneurs d’ordre, y compris dans le public, auraient bien besoin de réviser la loi de 1983 qui régit les métiers de la sécurité privée et le droit du travail tout court.

Les dérives ont fleuri à la faveur de l’expansion de ce secteur qui profite du désengagement de l’État, période de vaches maigres oblige. Les effectifs ont augmenté  de 140% en vingt ans, indique le dernier rapport du Centre de recherche et d’études sur les qualifications (Cereq), si bien qu’on compte aujourd’hui 9 000 entreprises et 165 000 salariés.

“Je ne connais pas une seule boîte qui n’ait pas été borderline”

Actuellement, l’exercice de la fonction d’agent privé de sécurité et de dirigeant d’entreprises dans le secteur est soumis à un certains nombre d’obligations :

Depuis 2008, il est nécessaire de justifier d’une aptitude professionnelle.  Il faut au moins détenir un Certificat de qualification professionnelle (CQP) d’agent privé de sécurité (APS), formation qui dure 70 heures. Il est aussi possible de passer par une équivalence si l’on a effectué un nombre d’heures suffisant. Sans cela, pas de carte professionnelle, obligatoire depuis 2009.

“Je ne connais pas une seule boîte qui n’ait pas été borderline”, annonce tout de go Yves, qui dirige une entreprise mais tient à s’exprimer de manière anonyme. Et il ne fait pas exception, citant l’exemple de la carte professionnelle :

Quand vous avez une demande à 16 heures pour du gardiennage à 19 heures et que vous n’avez pas assez de personnel, on met quelqu’un qui n’a pas de carte professionnelle le temps d’une nuit. La procédure pour avoir la carte est longue. Le vivier de gens avec une carte professionnelle est insuffisant. On arrive à peu près sur les demandes annuelles. La carte professionnelle a réduit la possibilité de trouver vite des gens, il y a beaucoup de turn over en raison de la pénibilité.

Il prône la mise en place de niveaux de formation intermédiaires, comme dans la sécurité incendie. Et de casser du cliché en parlant de la possibilité de réinsérer des gens par ces métiers, en évoquant le cas d’un SDF entré dans son entreprise voilà quelques années, et qui y travaille toujours.

Sur le forum La relève, dédié à la sécurité privée, Maxboyer s’enquiert1 : “je suis responsable secteur d’une société de sécurité le siège sur Paris et l’agence secondaire dans l’Hérault. Un responsable secteur doit avoir obligatoirement cette carte pro, je sais que pour les agents cela est obligatoire mais pour les divers responsables ?”

La réponse tombe tout de suite : “En tant que responsable de secteur, vous n’effectuez pas, exclusivement, des tâches administratives et vous n’êtes pas dirigeant. Oui, il vous faut un numéro pour pouvoir exercer. Ce qui signifie qu’actuellement, faute de carte professionnelle en bonne et due forme, vous et votre employeur êtes dans l’illégalité.” Pour David, il ne faut pas accabler seuls les agents :

Ils sont responsables en partie de leur méconnaissance de leurs droits et obligations. En partie seulement, car notre profession pousse à une désociabilisation. On travaille quand les autres s’amusent, c’est comme ça que nous pourrions le résumer. On est en service souvent la nuit et le week-end, les fêtes…, et on a un rythme décalé par rapport au reste de la population. Il y a un risque de repli sur soi important.

Les dirigeants ont aussi des obligations. Pour ouvrir sa boîte, il faut un titre de dirigeant d’entreprise de sécurité, qui dure de 4 à 6 mois (équivalence bac + 3). De plus, pour abaisser le seuil d’entrée, un CQP de dirigeant de 15 jours et un CAP ont aussi été créés. Autre possibilité, avoir été chef d’entreprise au moins deux ans.

“C’est déroutant, estime David, surtout que la majorité des dirigeants d’aujourd’hui ne l’ont pas. Ils ont eu leur capacité par équivalence. Pour donner un chiffre, on doit être cinq en Aquitaine à avoir ce titre.”

Toujours sur le site La relève, Dogsecurite écrit sans ambages : “Je pense que lorsque l’on est une petite entreprise, il n’est pas forcément facile de respecter la totalité de la convention. Il faut aussi que les salariés soit aussi indulgents et compréhensifs à partir du moment où le plus important est respecté mais en même temps je suis pas salarié donc… “

Danièle Meslier, directrice générale de l’Association nationale des métiers de la sécurité (ADMS), un syndicat qui regroupe une centaine de petites entreprises, explique que certaines dirigeants ne respectent pas la loi, involontairement : “Ils ne savent pas où aller chercher l’information. L’État ne les accompagne pas. Sur 5 000 entreprises, environ 250/300 sont dans des syndicats. Les préfectures n’ont pas communiqué de façon identique.”

Et les moyens de contrôle était jusqu’à présent lacunaires : “Il y a des faux CQP, la préfecture n’a pas les moyens de contrôler le diplôme, les gens donnent juste une photocopie”, déplore Yves. “Cela fait quelques années que je suis dans la sécurité, j’ai côtoyé les forces de l’ordre à plusieurs reprises, complète David. Aucun d’eux ne m’a contrôlé ma carte professionnelle, ni vérifié si j’étais inscrit au fichier DRACAR2.”

Formation

Mais les centres de formation eux-mêmes ne sont pas exempts de critiques. “Actuellement, les centres de formations délivrant le CQP ne sont pas ou très peu contrôlés et des dérives existent”, soupire David. La tentation de faire 100% de réussite est énorme, et beaucoup se laissent entrainer. Il est facile de comprendre que le conseil général ou le Pôle emploi donnera sa préférence à des centres obtenant 100% de réussite qu’à un centre en obtenant 50%.”

Des centres de formation dont le contrôle échappe au Cnaps : “Le contrôle des centres de formation n’est pas à ce jour de la compétence du CNAPS”, nous a détaillé Jean-Yves Latournerie, son directeur général.

L’obtention par équivalence a aussi ses limites : “C’est comme ça qu’on a vu des agents surveillant une usine désaffectée depuis trois ans posséder la carte pro alors qu’ils ne connaissent pas les lois et règlements”, rajoute David. Yves souligne que des patrons fraudent aussi sur ce point : “Certains délivrent des certificats de complaisance sur l’aptitude.”

Concernant la fin de la période de renouvellement des autorisations et agrément, Yves estime que certains profiteront d’une brèche dans la loi de 1983 : “On risque de se retrouver avec des milliers d’entreprises sans autorisation d’exercice… mais aussi de voir fleurir des entreprises de sécurité incendie à la place.”

Bien sûr, le Cnaps nous a tenu un discours rassurant : “Si le CNAPS est conduit à constater que des personnels de sécurité incendie exercent de fait des activités de sécurité sans autorisation, agrément ou carte professionnelle, il relèvera l’infraction en saisira les autorités compétentes, de la même manière qu’il le fait d’ores-et-déjà vis-à-vis d’entreprises ou d’agents de sécurité dépourvus des autorisations nécessaires. Ces infractions sont punies par la Loi.”

Viande

Dans un contexte de forte concurrence, la tentation est facile d’écraser les prix, quitte à vendre à perte en toute illégalité. “C’est les soldes toute l’année dans la sécurité privée”, plaisante Alexandre, dirigeant de TPE3. Lui préfère être en règle, quitte à perdre des appels d’offre. “Sur le chantier de l’A65, ma proposition était 20 000 euros plus chère que celle retenue, j’étais déjà juste à 17,80 euros de l’heure l’offre retenue était à perte de 1,5 euros environ”, estime-t-il. Le prix moyen minimum estimé tourne autour de 17 euros. En effet, en 2010, le coût de revient horaire d’un agent de base était de 15, 116 euros, hors coût de structure [pdf].

Conséquence, le travail au noir, voire l’emploi de sans-papiers sont une des plaies du secteur. “On trouve surtout ce phénomène dans les grandes villes, détaille Alexandre, des tarifs à 11/12 euros, ce sont des choses qui se disent, se savent. Les documents administratifs devraient primer sur les appels d’offre et non le prix.” Récemment, l’Urssaf a ainsi fait une descente sur des sociétés de gardiennage en Île-de-France.

Ces maux sont facilités par la sous-traitance en cascade. Triste constat d’Yves :

Ce qu’ils veulent c’est juste de “la viande” d’agent de sécurité. Ils ne veulent en définitif pas un “service” mais une mise à disposition d’humains, malléables, serviables et au moindre écart, vous êtes mis à la porte du client. J’ai des clients qui m’ont déjà refusé un agent : parce qu’il est trop vieux, il parle trop, il a un accent, il veut pas ranger les caddies, etc. Bref de la grosse discrimination, à la tête du client : le donneur d’ordre est roi, si il vous à dans le nez, le lendemain vous n’êtes plus sur le site.

Appels d’offre

Sur La Relève, un sujet est dédié aux offres d’emploi , dont certaines ne respectent pas la loi. Le comble ? Elles sont proposées par… Pôle emploi. Petit exemple d’une offre qui tombe dans le délit de marchandage, c’est-à-dire que l’agent est employé pour autre chose que de la surveillance : “Vous assurerez la surveillance (fermeture des portes et contrôle des accès) et la sécurité incendie au sein d’une clinique. Vous serez polyvalent : portage des plateaux repas.”

Limites de la dénonciation…

Si la tentation de dénoncer les collègues peu scrupuleux, elle se heurte au manque de moyens des instances de contrôle. “Les dénonciations sont inutiles, estime Alexandre, l’Urssaf ne fait pas son boulot. Il faut pouvoir prouver ce qu’on dit.”

“Les dénonciations sont rares, c’est dommage, complète David. C’est un milieu fermé, si les salariés vont aux prud’hommes, ils sont vite repérés.” Et lui-même de citer un exemple, sans donner le nom : “une entreprise du Béarn a failli fermer, ils faisaient du travail au noir et ne respectaient pas les conditions de sécurité (pas de PTI). Je ne tire pas sur une ambulance. Mais si ça va trop loin, quand c’est dangereux, je dénonce à l’Urssaf, ainsi une entreprise qui faisait du travail de nuit dans une déchetterie, un salarié a fini à l’hôpital d’ailleurs.”

Doutes

Depuis janvier, le Cnaps a donc pour mission de mettre de l’ordre dans ce vaste chantier. Loin de l’optimisme d’un Claude Guéant, l’initiative inspire de la méfiance. Ce bébé lobby des gros bonnets de la sécurité privée occupe un tiers des sièges du collège d’administration et un quart dans les commissions régionales. David est circonspect :

Securitas est le premier cotisant de grosse boite à faire appel à la sous-traitance. Néanmoins, j’ose encore croire que le Cnaps se sortira des griffes des grosses entreprises, Securitas, Lancry, Néo Sécurité… , ainsi que du Snes et de l’USP (les deux principaux syndicats, Ndlr) et fera son boulot.

“C’est de la poudre aux yeux, juge Alexandre. Le vrai but est d’arriver à quelques grosses entreprises.”

Désabusé, Yves nous fait remarquer que Céline Gourjux, la fille de Michel Ferrero, le président du Snes qui siège à la commission nationale, a été nommée à la commission de la région Rhône-Alpes.

“Je reste perplexe face aux résultats ou alors ils nous réservent de bonnes surprises telles que l’élaboration d’un prix de vente horaire minimum ou au moins un contrôle pour éviter les ventes à perte”, espère fredytime. Si les contrôles sont légalement possibles, en revanche, le prix de vente horaire minimum est impossible en France, libre concurrence oblige…

Et n’allez pas croire que la volonté de l’État d’accroitre les partenariats publics-privés réjouit forcément. David regrette :

En 1983, il y a eu cette loi pour encadrer et restreindre les activités de la sécurité privée. La loi n’est pas là pour encadrer la croissance mais les activités, les droits et obligations. Elle dit clairement où on ne doit pas être : sur la voie publique. Or, Sarkozy a ouvert une brèche en fermant les commissariats et en baissant les effectifs. La nature ayant horreur du vide, il a fallu combler cela… et c’est nous et la police municipale. Mais on revient moins cher et on est moins contraignant que la police municipale. Les effectifs de la sécurité privée vont bientôt être plus importants que ceux de la police nationale, de la gendarmerie et des douanes réunis. Trouvez-vous cela normal ? Moi, non. Nous, on est dans le privée. Et pourtant, on intervient avant le 17 lors de cambriolages, d’effraction ou d’intrusion. Les aéroports sont aux mains de la sécurité privée… ce n’est pas normal. On joue gros et on n’a ni les moyens, ni les formations adaptées.


Photos de LEGO sous licences Creative Commons par minifig, kennymatic, floollama, jing dong via flickr

  1. nous avons corrigé la forme pour toutes les citations tirées du forum []
  2. délivrance réglementaire des autorisations et cartes professionnelles des agents de sécurité privée []
  3. le prénom a été modifié []

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