Les droits chemins du Superbowl
Le droit des marques et le droit de la propriété ont menacé le dernier Superbowl. L'évènement sportif, sorte de plus gros support publicitaire au monde, est l'enjeu de batailles juridiques de plus en plus féroces. Sa retransmission a provoqué une avalanche de plaintes et de menaces de procès.
La semaine dernière avait lieu aux Etats-Unis le 46ème Super Bowl, la finale du championnat national de football américain, qui a vu la victoire à l’arrachée des New York Giants sur les New England Patriots.
En plus d’être un grand rendez-vous sportif, le Super Bowl constitue chaque année l’un des plus importants événements médiatiques au monde, avec en 2012 plus de 111 millions de téléspectateurs aux Etats-Unis et 12 000 tweets par seconde dans les dernières minutes de la rencontre. Pour profiter de cette audience monstre, les annonceurs publicitaires étaient prêts à débourser 4 millions de dollars pour 30 secondes de passage à l’antenne et pour couronner le tout, le show de la mi-temps fut pimenté par une prestation de Madonna en personne.
Mais le spectacle sur le terrain pourrait bien se prolonger par une troisième mi-temps animée… dans les prétoires ! En jetant un oeil dans les coulisses juridiques du Super Bowl, on se rend en effet compte que cet évènement est littéralement saturé de propriété intellectuelle, depuis les logos sur les casques des joueurs jusqu’à la musique des publicités en passant par le nom “Super Bowl” lui-même !
La National Football Ligue (NFL) annonce d’ailleurs clairement la couleur dans ses spots vidéo, qui sont précédés par un avertissement de copyright particulièrement intimidant.
Cette année, un petit vent de Copyright Madness devait souffler dans l’air, car on a pu assister avant, pendant et après le match à un feu d’artifice d’accusations de plagiats et de menaces de procès. Un maelström contentieux, révélateur des pathologies de la propriété intellectuelle et qui soulève cette question : mais comment avons-nous pu en arriver là ?Operation Fake Sweep : plus de 300 sites web débranchés par le FBI…
La semaine précédent le Super Bowl, les agents du FBI ont fait du zèle en déconnectant 16 sites spécialisés dans la diffusion illégale d’évènements sportifs en streaming et 291 sites vendant des contrefaçons d’articles de sports. Operation Fake Sweep (d’après le nom d’une tactique au football américain), ce “coup de filet” numérique s’appuie sur des dispositions législatives datant des années 70, conçues à l’origine pour permettre aux agents fédéraux de saisir les propriétés des dealers de drogues. Comme dans l’affaire MegaUpload, le FBI s’est emparé des noms de domaine des sites susceptibles de violer les droits de la NFL. Sur les sites dégommés, figurent aujourd’hui des badges rappelant le prix à payer pour la violation du copyright ou encore des vidéos “pédagogiques” sur les dangers de la piraterie…
Les parallèles avec l’affaire MegaUpload ne s’arrêtent pas là , puisqu’un américain de 28 ans, Yonjo Quiroa, a été arrêté dans le Michigan le 2 février, pour avoir mis en place neuf sites de streaming diffusant illégalement des programmes sportifs protégés. A l’instar de Kim Dotcom, ce “pirate du sport” risque cinq années de prison pour violation des lois fédérales.
Cette action du FBI intervient alors que le Super Bowl était cette année pour la première fois officiellement diffusé par NBC en streaming sur Internet. L’ironie veut que l’un des joueurs vedettes d’une des équipes participant à la finale, Tom Brady le quaterback des Patriots, a admis qu’il avait déjà regardé le Super Bowl en ligne l’année dernière à partir d’un site pirate, alors qu’il se remettait d’une blessure au Costa Rica…
Pour plusieurs commentateurs, cette Operation Fake Sweep prouve une nouvelle fois que le gouvernement fédéral américain, même sans le vote des lois SOPA/PIPA, dispose d’un arsenal juridique suffisant pour faire tomber à peu près n’importe quel site Internet, au nom de la protection de la propriété intellectuelle.
Imbroglio juridique autour des publicités du Super Bowl 46
Les publicités diffusées lors du Super Bowl représentent un enjeu énorme pour les firmes qui sont prêtes à payer les sommes astronomiques demandées pour quelques secondes d’apparition lors du Big Game. Mais les choses peuvent devenir un peu plus compliquées lorsque le copyright s’en mêle…
La firme automobile Chrysler avait par exemple cette année décidé de “mettre le paquet”, avec son spot “Halftime in America” dans lequel joue Clint Eastwood, programmé au moment stratégique de la mi-temps.
La diffusion devait être couplée avec une campagne virale de promotion sur Internet, notamment par le biais de YouTube, pour donner un maximum d’impact à la vidéo. Chrysler avait en effet mis en place une carte interactive des Etats-Unis pour suivre pour suivre la propagation de la vidéo sur YouTube et Twitter, avec ce message : “Just one person can start a chain reaction that reaches thousands. Share this video via Facebook or Twitter and watch below as it spreads across the country.”
Sauf que lorsque les spectateurs se sont rués sur YouTube pour partager la vidéo suite à son passage à l’antenne, ils n’ont pu voir que ceci :
Pour des raisons assez obscures, YouTube avait désactivé la vidéo de Chrysler suite à une plainte pour violation de copyright déposée… par la NFL ! Et comme Chrysler utilisait le player de YouTube sur son propre site, il n’était même pas possible d’y voir là sa propre vidéo ! Le spot a été remis en ligne depuis, mais cet énorme fail trouve certainement son explication dans une requête automatique envoyée par la NFL pour faire désactiver par YouTube toutes les vidéos dont le titre comportait le mot “Halftime”, afin d’empêcher les diffusions pirates du show de la mi-temps… Bienvenue dans le monde merveilleux de l’application automatique des règles du copyright !
Les mésaventures juridiques des publicités du Super Bowl ne s’arrêtent pas là cette année, puisque Danone a également connut des problèmes sévères, suite à la diffusion de ce spot de promotion d’un yaourt à la grecque :
Le groupe australien John Butler Trio a en effet remarqué de troublantes similitudes entre le riff principal de la musique accompagnant cette vidéo et un de ses morceaux, intitulé Zebra. Même s’il ne s’agit pas d’un usage direct de cet enregistrement, les ressemblances entre les deux morceaux sont visiblement suffisantes pour servir de fondement à une accusation de plagiat et le groupe est en train de fourbir les armes pour attaquer Danone en justice.
Madonna à deux doigts du procès…
Chaque année, une star est invitée à se produire à la mi-temps du Super Bowl dans un grand show à l’américaine. Si Janet Jackson avait fait scandale en 2004 en montrant un petit bout de sein, Madonna cette année a défrayé la chronique à cause d’une plainte assez délirante déposée à son encontre par… un pornographe !
Madonna avait en effet prévu à cette occasion de chanter l’un des morceaux tirés de son album MDNA : “Girls Gone Wild“. Or ce titre reprend celui d’une série de vidéos pornographiques, dont le créateur Joe Francis n’a pas du tout apprécié l’emprunt par Madonna. Ayant judicieusement déposé ce titre comme marque, il a fait valoir que l’interprétation de ce morceau lors du Super Bowl aurait constitué une appropriation fraduleuse des termes, susceptibles de créer une confusion dans l’esprit des consommateurs…
Madonna a un moment envisagé de négocier avec les avocats de Joe Francis pour trouver un terrain d’entente, avant de se décider à retirer ce morceau de la programmation prévue pour la soirée. Mais cela n’a visiblement pas calmé les ardeurs contentieuses du pornographe, qui fort de ce premier succès d’intimidation a décidé de porter plainte pour l’usage des mots Girls Gone Wild comme titre d’une des chansons de l’album MDNA…
Super Bowl : et quelques délires juridiques de plus…
Voilà pour les affaires principales déclenchées par ce Super Bowl 46, mais en creusant davantage, on trouve encore bien d’autres manifestations de délire juridique à se mettre sous la dent. Cette année par exemple, la NFL a mis en place des règles drastiques afin d’encadrer la rediffusion du match… dans les églises évangéliques, manifestation de ferveur visiblement fort prisée aux Etats-Unis ! Entre le respect du droit des marques, la taille et l’emplacement de l’écran, les conditions d’entrée, autant dire qu’il faut consulter un avocat pour ne pas risquer l’amende…
Pour les particuliers également, la NFL a fixé une règle cocasse selon laquelle vous pouvez organiser une soirée pour voir le match avec vos amis, à condition que votre écran ne dépasse pas 55 pouces, sinon il s’agirait d’une représentation illégale ! Il est également visiblement plus prudent de ne pas prononcer ou d’écrire les mots “Super Bowl”, voire même “Super Sunday” dans les jours qui précèdent le match, car la NFL a enregistré ces termes comme marque et se montre très sourcilleuse sur l’emploi qui en fait. On peut par contre visiblement dire “Big Game” à la place sans risque, puisque la NFL a échoué cette fois à faire protéger ces mots et c’est pourquoi de nombreuses compagnies l’utilisent pour éviter d’avoir à payer des droits astronomiques…
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Le Super Bowl constitue vraiment un remarquable concentré des pathologies engendrées par les dérives actuelles du droit de la propriété intellectuelle. Pour goûter complètement le ridicule de la chose, je vous conseille de terminer en allant lire cet article excellent, qui s’interroge sur les rapports entre le copyright et le football américain.
En effet, certains coachs ont visiblement essayé de faire breveter ou de protéger par le copyright des schémas tactiques employés sur le terrain, afin d’empêcher leurs adversaires de les copier (en soutenant qu’ils étaient assimilables à des chorégraphies…). Mais ces prétentions ont heureusement toujours été rejetées et il en résulte que les équipes restent libres d’imiter les tactiques de leurs adversaires pour les retourner contre eux. L’auteur de l’article conclut que loin de constituer un frein à l’innovation, cette liberté de copier pousse les entraîneurs à inventer sans cesse de nouvelles stratégies pour battre leurs adversaires, ce qui fait du football américain un sport vivant, sans cesse en évolution.
En définitive, malgré tout ces délires juridiques, le football américain est fondamentalement un sport en Open Source. Ironique, non ?
Illustration de la chronique du copyright par Marion Boucharlat pour Owni /-)
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