La brigade financière dément BNP Paribas

Le 5 décembre 2011

Le patron d'une filiale de BNP Paribas a été licencié en 2010 pour faute grave et poursuivi au pénal. OWNI s'est procuré l'enquête de la Brigade financière qui le disculpe. La banque est soupçonnée d'avoir fabriqué un dossier.

Selon des documents obtenus par OWNI, BNP Paribas a monté à la va-vite un dossier pénal pour écarter le directeur général de sa filiale “titres”. Licencié début 2010 dans le cadre d’une affaire de financement d’une mine en Afrique, Jacques-Philippe Marson a, le mois dernier, relancé cette affaire en décrivant ses mésaventures sur son blog. L’ancien patron de BNP Paribas Securities Services (BP2S) dénonce un “licenciement abusif” et pointe quelques bizarreries de la part du groupe BNP Paribas.

Or, une enquête de la Brigade financière (dont nous publions une copie au bas de cet article) lui donne raison sur plusieurs points et le disculpe des charges pénales, deux ans après cette éjection expresse. Laissant supposer que la banque a fabriqué un dossier pénal pour se débarrasser d’un cadre supérieur devenu encombrant.

Tout commence le 30 septembre 2009. BNP Paribas reçoit une lettre de l’avocate d’un homme d’affaire malien, Allou Diallo, mettant en cause Jacques-Philippe Marson, directeur général de BP2S. Il est accusé d’avoir fait preuve d’un “comportement blâmable, notamment d’un point de vue éthique et déontologique” dans le cadre d’une recherche d’investisseur pour un fonds canadien. Le véhicule financier, le Mansa Moussa Gold Fund (MMGF), était destinée à financer une mine au Mali exploitée par la société Wassoul’or, les deux structures étant présidées par l’accusateur, Allou Diallo.

200 millions de dollars

L’investisseur amené par Marson, François de Séroux, était censé apporter 200 millions de dollars américains via sa société Ventra Consulting. Laquelle fera finalement défaut. L’avocate du fonds lésé invite la banque à trouver une solution à l’amiable, parmi laquelle une possibilité d’intéressement au financement du projet, “compte-tenu du fait que le marché de l’or est actuellement porteur”.

Octobre 2009 : la BNP ordonne une inspection générale (IG) spéciale, procédure interne de contrôle.

Novembre 2009 : mise à pied de Jacques-Philippe Marson. Il lui est reproché de ne pas avoir respecté les principes et les procédures déontologiques et de prévention du blanchiment en vigueur à la BNP dans cette affaire, mais également deux autres.


Extrait des conclusions de BP2S aux prud’hommes

Janvier 2010 : Jacques-Philippe Marson est licencié pour faute grave. À la suite des plaintes croisées entre le fonds canadien, le groupe BNP Paribas et Jacques-Philippe Marson, une enquête préliminaire est ouverte par la Brigade financière, pour le compte du parquet de Paris.

Les plaintes seront classées sans suite. L’enquête révèle que la majorité des faits reprochés à l’ancien DG pour justifier son licenciement ne sont pas avérés :

Il ne pouvait donc être établi de manière certaine qu’il avait été prévu un intéressement financier personnel au profit de M. Marson. [...]
S’agissant d’un éventuel conflit d’intérêts invoqué par la banque à l’encontre de M. Marson, il n’était apporté ou recueilli aucun élément l’établissant de manière certaine. M. Marson apparaissait au contraire avoir agi dans un souci permanent de protection de la banque et de son client, la société Ventra Consulting.

Concernant le compte ouvert chez BP2S au nom Ventra Consulting, la BF infirme les conclusions de l’IG :

Il apparaissait que toutes les procédures préconisées par la banque concernant la prudence et la lutte contre le blanchiment avaient été suivies et respectées sans que M. Marson n’y fût intervenu de manière particulière.

L’ex DG n’est pas non plus intervenu en particulier dans le dossier. Sur le mélange des casquettes privées et professionnelles, là encore la BF met les choses au clair :

Contrairement à ce que prétendait le MMGF dans sa plainte, il n’était pas apporté la preuve que M. Marson eût “usé et abusé” de sa qualité de directeur général de BP2S dans le cadre de cette opération. Au contraire, les pièces produites et les déclarations recueillies mettaient en évidence le caractère personnel de son intervention.

De même, les autres projets pointés du doigt par BNP Paribas ne mettent pas en cause la déontologie de Jacques-Philippe Marson. Dernier point déminé, des opérations touchant des diamants, en lien avec le non respect de la politique des cadeaux du groupe ou la rémunération de variable de Jacques-Philippe Marson :

Elles n’apparaissaient pas susceptibles de constituer des infractions pénales et, eu égard au résultat des investigations menées concernant la relation Ventra Consulting et MMGF, et en accord avec le Parquet de Paris, il n’était pas procédé à plus d’investigations à leur sujet.

Restent principalement deux griefs, selon la BF. Contrairement à ce que Jacques-Philippe Marson soutenait, il avait bien été mandaté par le MMGF pour rechercher un investisseur et son mandat avait été renouvelé “à plusieurs reprises et à sa demande, jusqu’en février 2009, date à laquelle ils annonçaient aux représentants du MMGF la défaillance de l’investisseur potentiel.”

L’ex DG est aussi mis en cause pour avoir masqué le nom de l’investisseur, François de Séroux-Fouquet, sur des documents, “ôtant toute possibilité au MMGF d’exercer un recours aux fins d’obtenir l’exécution de ses engagements par l’investisseur défaillant.”

Interrogée par la BF sur les conclusions de l’IG affirmant que les agissements de Jacques-Philippe Marson ont “clairement enfreint les règles et normes en vigueur au sein du groupe”, Hortense Boizard, responsable risque, conformité et contrôle permanent de la filiale BP2S, avait répondu :

Je pense qu’elle n’est pas très factuelle. J’aurais souhaité que l’inspection générale indique clairement la liste des règles et normes en vigueur qui ont été enfreintes.

Interrogée par mail, la BNP n’a pas répondu à nos questions. Les demandes de transaction n’ont jamais eu de suite. “Ils ont coupé les ponts, ils ont fait le black out, nous a expliqué Julia Boutonner, l’avocate de M. Diallo. Ils ne voulaient négocier avec personne.” Et de souffler “M. Marson aurait eu d’autres cadavres dans les placards”. D’après la Brigade financière, les cadavres ressemblent surtout à des baudruches dégonflées.

Appel de la décision

Selon elle, l’affaire s’est arrêtée là car “ce n’était l’intérêt de personne que cette affaire soit poursuivie.” Pourtant, Jacques-Philippe Marson souhaite aller au civil et a fait appel de la décision des prud’hommes. Il affirme être prêt à aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.

Pour quelles raison la BNP a-t-elle agi ainsi ? Un salarié qui a souhaité garder l’anonymat nous a suggéré de revenir sur un scandale remontant à l’été précédent les faits. La BNP est alors sous le feu des médiaspointée du doigt pour avoir provisionné un milliard d’euros de plus qu’en 2008 à destination de ses traders, après avoir reçu 5,1 milliards d’euros d’aides de l’État. Voyant venir un potentiel second scandale, la BNP aurait donc viré fissa le DG de sa filiale. Quelques articles paraîtront alors aux titres fleurant bon le scandale à la sauce Françafrique.

Maladroitement, la défense désigne Diallo comme un “Madoff malien”, propos repris par Le Point. En plus de valoir à l’hebdomadaire un droit de réponse et un procès en diffamation, cet argumentaire est à double tranchant : l’idée que le DG de BP2S ait pu se faire avoir ainsi n’est pas de nature à rassurer ses partenaires en affaire. Or la confiance est l’actif le plus précieux d’une banque, celui qui attire les clients. BNP-Paribas s’empressera bien de préciser qu’il n’y a eu aucune conséquence financière sur la banque et ses clients.


Photos via Flickr par Big Pilou [cc-by] ; Joanet [cc-by] ; Chris Jeriko [cc-byncsa]

Image de Une Marion Boucharlat pour OWNI

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