Little Miss Austin

Le 23 mars 2011

Visiter Austin pendant la cérémonie de Little Miss Austin est une excellente occasion de découvrir ces concours de Mini Miss qui participent à la culture états-unienne. Entre malaise et maquillage.

Dans notre imaginaire collectif, il y a la Bud Light (marque de bière et monument national), le spring break (vacances de printemps) et les « beauty pageant » : ces concours de beauté réservés aux enfants, symboles de l’Amérique que l’on aime détester. L’élection de Little Miss Austin se tenant à Austin pendant notre séjour texan, nous nous devions d’aller voir de plus près ce qu’il en était de ce symbole phare d’une Amérique étrange.

Rendez-vous est fixé tôt, un samedi matin dans un Holiday Inn. Il est 8h. Nous arrivons en face de l’hôtel sordide au sortir d’une bretelle d’autoroute. Le chlore de la piscine intérieure qui borde le hall embaume l’endroit. Curieuse ambiance, quelques parents remaquillent les enfants, des filles d’à peine 5 ans errent ça et là, toutes bronzées par les UV qu’elles subissent durant la semaine. Il est beaucoup trop tôt pour encaisser tout ça, un café, un muffin, et nous continuons la découverte.

Le concours commence à 9h, la maîtresse de cérémonie annonce la couleur.

Il y a beaucoup de participants, ça va être long, très long, alors faites preuve d’organisation et de rigueur vous aiderez tout le monde.

Le ton est froid et strict, on ne rigole pas avec les beauty pageant. TLC, chaîne de télévision nationale est là pour filmer pour son émission « Toddlers and Tiaras », nous sommes donc vivement invités à manifester notre engouement ostensiblement pour le spectacle, nous dit-on.

Tout le monde est en place. Le salon de l’hôtel, réservé pour l’occasion, est orné de centaines de coupes et ballons. La déco est de mauvais goût et la clim souffle à fond. Nous sommes bien aux Etats-Unis. D’abord, les garçons. Quelques pauvres enfants de quelques mois à 10 ans, motivés par des mères très impliquées, offrent clins d’oeil et autres manœuvres de drague à un jury de 15 ans leurs aînés, au mieux. Coup d’arrêt pour la virilité naissante de ces garcons, qui auront bien du mal a s’extraire du souvenir de ces concours.  Une fois cette formalité expédiée, les choses sérieuses peuvent commencer.

Après les garçons, les filles

Tous les âges sont représentés, les premières participantes ont à peine quelques mois. Portées par la mère ou le père, qui les chatouillent et les titillent pour obtenir d’elles un sourire qui fera chavirer le coeur du jury. Les parents se partagent le travail : pendant que l’un porte sa fille sur scène, l’autre fait des mimiques ridicules derrière le jury pour attirer le regard de l’enfant apeuré vers les juges. Puis arrivent les sections des enfants qui peuvent marcher seuls sur scène, petit numéro préparé, les pas sont hasardeux quand on marche seulement depuis quelques mois.

Enfin la catégorie phare, les 5-8 ans. Les robes sont plus belles, les coiffures plus travaillées, le bronzage plus intense et la routine mieux préparée. A ce stade les parents ne rigolent plus, un chèque est en jeu. Se postant toujours derrière le jury, les gestes sont plus stricts et directifs, proche du dressage canin, certaines mères montrent une implication beaucoup trop intense pour être rassurante. Le spectacle qu’ils donnent est tout aussi intéressant à regarder que le défilé des enfants. Ce père bedonnant, par exemple, qui refait à l’identique les gestes de sa fille, avec la grâce et la féminité que son corps permet. D’autres parents encore, font appel à des coachs, considérant qu’un concours de beauté est une affaire trop sérieuse pour être prise à la légère.

Le spectacle offert jusque-là est atterrant. En attendant leur tour, les filles sont posées sur des chaises pendant des heures, le regard vide et l’air hagard, beaucoup trop calmes pour des enfants. Un doute s’installe alors, aurait elles à leur insu ingéré des calmants ? Une participante nous parle, d’une voix monotone, elle passe bientôt nous dit-elle. Sa mère intriguée accourt pour nous demander qui nous sommes et si on ne les trouve pas fous. Le public est uniquement composé de parents encourageant leurs enfants, une communauté autonome fonctionnant apparemment en circuit clos.

Aucun spectateur n’est totalement étranger à ce qui se passe, la présence de chacun répond à un enjeu narcissique ou financier. Ce qui finalement nous rassure sur la portée de cet événement loin de toute morale, les beauty pageant sont soutenus par une communauté assez réduite de passionnés. Une pause cigarette soulage encore notre idée d’avoir affaire à des exceptions culturelles américaines, une cliente sort du hall pestant envers les parents qui usent leurs enfants afin de satisfaire leur propre égo.

Nous revenons au salon en croisant l’équipe de télé qui semble aussi épuisée que nous. La première partie s’achève et le nombre de candidates se réduit à mesure que les âges augmentent. La dernière à défiler sur la scène doit avoir 15 ans, seule dans sa catégorie, elle à déjà l’allure d’une vieille miss. Image triste d’une résistante qui défile devant son copain (mari ?) et son fils. Le cliché de l’Amérique profonde nous fait brutalement face, sans que nous puissions y faire quoique ce soit.

Concours de maillot de bain

Le pire est à venir, nous sommes assis depuis bientôt trois heures et la seconde partie commence, le concours de maillot de bain. Toujours ces mêmes enfants, toujours le même ordre, mais maintenant les robes ont disparu pour laisser place à des bikinis. Toujours la même routine, les plus petites d’abord puis celles qui peuvent marcher. Mais force est de constater qu’elle ne font pas que marcher, quand l’une d’entre elles se retourne, dos au jury et propose un déhanché à faire pâlir les filles du Pink, c’en est trop pour nous. Une irrépressible envie de faire de l’humanitaire nous envahit. Peut-on sauver ces filles d’une forme de pédophilie mélangée à de l’entertainment ? Nous partons, il est 13h, cela fait cinq heures que nous sommes là devant ce spectacle affligeant, mentalement nous sommes à terre. K.O. L’Amérique a gagné sur ce coup-là.

Constatation amère qui saute aux yeux, tous les enfants se ressemblent : blonds, bronzés, sourire figé. Des normes physiques policées et uniformes, qui ne nous évoquent rien de vraiment bon. Puis cette purge infligée à des enfants un samedi matin. Tout ça pour pas grand-chose, de l’argent et cinq minutes de gloire dans un salon d’hôtel. Heureusement, ces concours ne déchaînent pas les foules, les familles viennent de loin pour participer, et ne réunit finalement qu’une cinquantaine de candidates. Le public n’est pas composé d’amateurs de jeunes enfants en maillot, mais de parents chauvins et amis dévoués. Ramenant tout ça à une sorte de club narcissique, une microsociété autosuffisante. Toujours est-il qu’il y aurait beaucoup à dire sur la légitimité morale de ce genre de concours, mais on est aux Etats-Unis et tous les freaks ont leur place au soleil des projecteurs, si petits soient-ils. Et puis les autres riront bien en regardant sur TLC « Toddlers et Tiaras ». La boucle est bouclée, The Show Must Go On.


Article initialement publié dans le magazine I Heart Austin dont le prochain numéro sera en kiosque en avril
Photos par Guilhem Malissen

Illustration de la Une : Louison pour Owni
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