OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 [ITW] Psychiatrie sous contrainte: une loi inique http://owni.fr/2011/05/10/itw-psychiatrie-sous-contrainte-une-loi-inique/ http://owni.fr/2011/05/10/itw-psychiatrie-sous-contrainte-une-loi-inique/#comments Tue, 10 May 2011 14:23:57 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=61988 Dans les années 50, le terme “santé mentale” illustrait la sortie des patients des asiles et participait d’une pensée progressiste. Les hôpitaux psychiatriques et les gestionnaires s’en sont emparés les années suivantes. En 2009, un rapport du Centre d’Analyse Stratégique [PDF] destiné à Nathalie Kosciusko-Morizet, expliquait que la santé mentale était l’affaire de tous.

Mathieu Bellahsen, ancien président des internes en psychiatrie, participe au Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire depuis le début du mouvement en 2008. Aujourd’hui chef d’un service de psychiatrie d’un hôpital de l’Essonne, il a accepté de répondre aux questions d’OWNI à propos du projet de loi sur la réforme de la psychiatrie.

“Cette loi concerne tout le monde”

Dans les grandes lignes, le projet de loi comporte quels types d’obstacle aux soins ?

Pour commencer, les motifs sont construits sur l’expression “permettre l’accès aux soins et la continuité de ces mêmes soins”. En théorie personne n’est contre ça. Sauf qu’en réalité, ce projet de loi ne parle pas de soins mais de contrainte : la mise en place de soins ambulatoires sans consentement relève de l’obligation pour le patient, au même titre que l’injonction thérapeutique. L’espace du patient est aussi modifié et son domicile, devenant un lieu de soin, ne pourra rester sa liberté privée, et ce malgré le droit constitutionnel.
Ensuite, les soins évoqués dans le projet de loi concernent principalement les traitements médicamenteux, soit une injection de neuroleptiques retards une fois par mois pour les patients psychotiques. Ce qui nous amène à deux mythes : les médicaments seuls sont des soins et les médicaments entraînent la guérison. Or, j’ai un certain nombre de patients à l’hôpital, sous médicaments, et qui pour autant ne vont pas forcément mieux.

Quelles sont les hospitalisations possibles et en quoi cette relation patient/soignant va être modifiée ?

Les soins entrent dans des dimensions médicamenteuse, environnementale – et relationnelle – et enfin sociale. La contrainte ne donnera rien d’autre que des patients soignés de force. Pour moi, ceux qui viennent, contraints, à l’hôpital n’ont pas tous besoin d’une hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) ou d’office (HO). Le jour où nous dirons à la majorité “Non, vous devez venir à l’hôpital parce que vous êtes en danger et je vous y oblige”, ce sera grave. La relation est biaisée et le projet de loi entérine le fait que ce n’est plus la relation qui fait le soin mais l’échange de médicaments : n’importe qui pourra créer cet échange de soignant à patient. Or tout notre travail est de faire du soin en créant la relation avec la personne. Quand les patients vont mieux, ils nous le disent aussi : “vous avez eu raison de me faire comprendre que je n’allais vraiment pas bien”. Dans cet échange ce qui compte c’est l’idée de confiance réciproque. Cette notion est fondamentale.

Dans la pratique, combien d’hospitalisations sans consentement ont lieu et si des dérives sont à craindre, quelles sont-elles ?

Si on parle sans langue de bois, il s’agit d’une garantie de protection pour la société et une obligation des gens à se soigner. Cette loi a été préparée à partir de situations exceptionnelles d’hospitalisation sans consentement. Au niveau des chiffres, un million deux cent mille personnes sont suivies, que ce soit en psychiatrie hospitalière, privée, ou de simples consultations. Et 70.000 personnes sont hospitalisées sans consentement par an ! La loi se base donc sur 70.000 cas sur plus d’un million. L’exception devient la règle. Cette loi ne concerne pas seulement les “fous” mais tout le monde.

Si nous prenons l’exemple d’un patient qui viendrait me voir dans un Centre Médico-Psychologique (CMP), un peu déprimé en me disant “j’ai des idées suicidaires”. Il ne me resterait plus qu’à lui répondre : “je vais regarder le protocole à la case suicidaire” et lui prescrire des antidépresseurs. S’il me répond qu’il voulait juste parler et essayer de comprendre ce qui ne va pas, je lui expliquerai seulement le protocole de soins. Et s’il continue de refuser, je le mettrai de force en soins ambulatoires sans consentement : il ne veut pas prendre d’antidépresseurs, il ne me reste qu’à l’y obliger, le tout grâce à une loi. Donc, in fine, ça concerne tout le monde. En poussant un peu loin, nous pourrions même voir la situation de celui qui se trouve mal au sein de son entreprise et qui n’a pas de bonnes relations avec son patron : on pourra lui dire que c’est un revendiquant paranoïaque et qu’il faut qu’il se soigne, un psychiatre pourra le contraindre…

“L’éthique de notre métier est en péril, au détriment des patients”

Les Centres Médico-Psychologiques (CMP) montrant déjà des signes d’engorgement, comment vont-ils pouvoir drainer le flux de patients et suivre ceux en ambulatoire ?

Pour prédire l’avenir des CMP, il suffit de regarder à l’hôpital. Actuellement je suis responsable d’une unité de 30 lits d’hospitalisation – dont 7 patients en HDT, 5 en HO et 18 patients en hospitalisation libre (HL) en ce moment. Avec les fermetures de lits et la diminution des moyens disponibles, il y a beaucoup d’hospitalisations et nous sommes débordés. En ce moment, nous recevons principalement des hospitalisations d’office ou à la demande d’un tiers, parce que nous sommes obligés de les prendre. Lorsqu’un psychiatre de secteur nous appelle en urgence, en nous demandant de prendre un patient qui souhaite se faire hospitaliser – donc en hospitalisation libre -, nous lui répondons qu’il n’y a pas de lit pour les hospitalisations sans contrainte. Le psychiatre n’a qu’à le mettre en hospitalisation sans consentement et le patient arrive alors à la demande d’un tiers alors qu’il voulait de lui-même se faire soigner. De manière libre !

Pour les hospitalisations libres, ayant plus de lits depuis cette année que le public, les hôpitaux et cliniques privés ont un boulevard devant eux : ayant un système de soins à l’acte, ils soignent principalement des patients anxio-dépressifs et des psychotiques “qui se tiennent bien”. Avec les CMP, de façon similaire à ce qu’il s’est passé à l’hôpital, nous allons avoir de plus en plus de personnes en traitement ambulatoire contraint et ceux qui voudront rencontrer quelqu’un de manière libre se verront répondre qu’il n’y a plus de place. Leur situation a de fortes chances de s’aggraver, ils iront de plus en plus mal jusqu’à … avoir le droit d’être hospitalisé sous contrainte ou, pire, deviendront ce que nous appelons les indétectables : ceux qu’on peut voir dans le métro, dans la rue, qui terminent en prison ou dans le bois, dans une précarité absolue, en échappant aux dispositifs.

Qu’est-ce qui vous amène à penser que la psychiatrie est “en cours de destruction” ?

En fond, le paysage ressemble à une destruction de la psychiatrie depuis une trentaine d’années, par les soignants eux-mêmes. Le modèle qui a émergé appartient au modèle gestionnaire et prend de plus en plus d’ampleur. La rigueur budgétaire des années 80 et la rationalisation des soins, ajouté au tournant des année 90-2000, ont emmené l’hôpital à devenir une entreprise. Personne ou presque ne s’en est rendu compte : ces modifications ont été présentées comme étant bénéfiques. À l’origine pour ce projet de loi, le protocole devait être décidé par le Conseil d’ État. En faisant intervenir un juge il y a une sorte de judiciarisation de la psychiatrie. Mais cette idée vient au départ de … la gauche des années 80, comme une revendication progressiste. Ils souhaitaient que les patients en psychiatrie puissent entrer dans le cadre du droit commun. Le psychiatre tout puissant ne plaisait pas.

Les modifications de la psychiatrie répondent à un discours de Nicolas Sarkozy en décembre 2008. Du point de vue éthique vous ne vous sentez pas respectés ?

Ce projet de loi est un projet politique, pas d’experts, élaboré en deux temps : lors de son discours à l’hôpital d’Antony en 2008, Nicolas Sarkozy a annoncé que des fonds allaient être débloqués et il a en même temps fait l’amalgame entre la folie et la dangerosité. Il souhaitait qu’une loi soit proposée mais avec le collectif des 39, nous avons pu faire en sorte qu’elle soit mise de côté. Ce projet-ci a été demandé par l’UNAFAM, une association de familles, par certains psychiatres et l’Etat. Paradoxalement, les patients les plus souffrants sont abandonnés parce que contraints. Les comportements sont psychiatrisés, de la même façon que la pauvreté, et dans le même temps on psychologise le social. Et l’éthique de notre métier est en péril, au détriment des patients.

“Nous devenons des machines à contraindre”

Une anecdote, que je raconte tout le temps : depuis qu’ont été mis en place des protocoles et des chambres d’isolements, appelées aujourd’hui chambres de soins intensifs, les psychiatres remplissent une feuille tous les jours. Mais depuis qu’il y a moins de personnels pour s’occuper des patients, il y en a plus en chambre d’isolement. Nous respectons le protocole et parfois certains patients peuvent y rester des mois. Nous parlons et réfléchissons d’un point de vue éthique, sur le métier et sur le modèle de société que nous voulons. Est-ce que nous souhaitons une société qui accepte l’étrangeté du monde et la souffrance de l’existence, au cœur du lien social ou une société complètement normalisée avec de belles paroles comme des “il faut réinsérer les gens” ?

Y’a-t-il eu réellement des avancées de faites et des fonds débloqués depuis ce discours ?

Oui, notamment la construction d’unités pour malades difficiles (UMD). Une unité est en cours d’élaboration à Reims, et il y a eu une unité hospitalière de soins aménagés (UHSA) à Lyon. Les détenus sont internés et la gestion est confiée à l’administration pénitentiaire. Robert Badinter, en février 2008, lors des débats sur la rétention de sûreté, a dit “on confond justice et thérapie”. La bascule a lieu également dans notre secteur, il y confusion entre contrainte et soins.

Le lieu de la contrainte n’est plus limité à l’hôpital mais dérive vers tous les lieux de passage du patient. Pour le collectif, la loi de 1990 à propos des sorties d’essai nous permet déjà de travailler. Avec ce projet, le patient sera contraint à se soigner non pas dans un lieu unique mais partout, y compris chez lui. Le malade ne sera pas seulement malade à l’hôpital ! En légiférant une scission se crée entre les hospitalisations d’office et les soins en ambulatoire. Les sorties d’essai des hospitalisations d’office permettent aux patients de vivre à l’extérieur et de demander à être ré-hospitalisés. Ils ne pourront plus naviguer entre les deux. J’ai un certain nombre de patients hospitalisés sous contrainte en sortie d’essai et qui sont comme ça depuis des années, revenant régulièrement nous expliquer qu’ils ne vont pas bien. Avec ce projet, le patient sera soit à l’hôpital soit en ambulatoire, les deux sous contrainte. Notre éthique de soignant nous semble menacée, nous devenons des machines à contraindre.

Des machines à contraindre et avec la nécessité de vous “protéger” ?

Oui, les gens seront envoyés chez eux et le protocole sera respecté pour les soins à domicile. S’ils se suicident, personne ne s’en inquiétera. Il faudra se protéger en remplissant correctement les feuilles : avec la réforme Bachelot Hôpital Santé Territoire, les praticiens hospitaliers, pour une partie de leur salaire, seront rémunérés en fonction de leur activité et de leur “excellence”. Si vous appliquez bien le protocole, tout ira bien. En revanche si vous êtes un peu inventif et que vous essayez d’être au plus près des patients, vous risquez de devoir détourner une loi inique et de fait, vous serez moins bien payé que celui qui applique le protocole à la lettre. J’ai entendu dire d’un médecin dont le patient s’était suicidé en chambre d’isolement qu’il était encore heureux qu’ils aient respecté le protocole… Autre cas de procédure, le casier psychiatrique, qui pour le moment n’est pas confirmé. Il était proposé que les patients, en hospitalisation d’office, qui passent par une unité pour malades difficiles (UMD) ou qui ont été hospitalisés d’office en prison, aient un dossier de données les concernant, comme une sorte de listing informatique qui donnerait tous les lieux où le patient a été traité à chaque fois qu’il verrait un psychiatre. Guy Lefranc, rapporteur UMP pour l’Assemblée Nationale, expliquait qu’il pourrait y avoir un droit à l’oubli à partir de dix ans.

La psychiatrie diffère des autres spécialités médicales. Pourquoi ?

Certains pensent actuellement que la psychiatrie est une spécialité médicale comme les autres. Or la psychiatrie est l’âme de la médecine. Ceux-là sont les premiers à parler de mise en place de soins comme dans les disciplines qui traitent de pathologies chroniques de type diabète. Pour eux, il faut être scientifique et réaliser des protocoles. Les rapports en santé mentale vont dans ce sens depuis une dizaine d’années, et notamment avec celui de l’OPEPS en 1998 qui explique qu’avec les progrès de l’imagerie médicale et des neuro-sciences, la partition entre neurologie et psychiatrie, datant de 1968, n’est plus de mise. Or depuis 50 ans, les modalités de soins sont les mêmes. Effectivement il y a de nouveaux termes comme psycho-éducation, éducation thérapeutique, etc… mais les traitements médicamenteux n’ont pas changé et les IRMs ne servent qu’à effectuer des diagnostics différentiels.

La question de la parole est mise à mal : qu’en-est-il du désir du sujet, de la personne qui se place dans sa propre existence ? Il faut penser le secteur comme un dispositif qui permet que des liens de confiance se créent. Ce n’est pas juste une histoire de gènes. Certains patients autistes avec des problèmes génétiques sous-jacents ne sont pas mieux pris en charge avec les médicaments.
On pense qu’avec nos techniques modernes on peut à présent éradiquer la folie. On a tous une part de folie en nous et il y a certaines personnes que la folie a rendu fous, ce sont nos patients.

Illustrations Flickr CC Madjan et Xtof


Retrouvez tout notre dossier sur la psychiatrie :

Image de Une, création et photo : Pascal Colrat (cette image n’est pas en Creative Commons)

Le déclin de la psychiatrie française par Grégoire Osoha

Pénurie de lits : les HP HS par Pierre Ropert

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Bioéthique, réfléchir sur ce que nous faisons du vivant http://owni.fr/2010/11/19/bioethique-reflechir-sur-ce-que-nous-faisons-du-vivant/ http://owni.fr/2010/11/19/bioethique-reflechir-sur-ce-que-nous-faisons-du-vivant/#comments Fri, 19 Nov 2010 16:41:59 +0000 Martin Clavey http://owni.fr/?p=36297 Bioéthique, bioéthique… Régulièrement depuis 1994, on entend parler d’une loi de bioéthique. Cette année, c’est Roseline Bachelot qui a présenté, juste avant son départ du ministère de la Santé, un projet de révision (PDF) de cette loi.

Depuis une quarantaine d’années, la bioéthique (mot inventé en 1970 par le cancérologue américain Van Potter ) réfléchit sur les problèmes liés à l’action des médecins et des biologistes sur notre société.

Bien sûr, les médecins ont depuis longtemps leur fameux serment d’Hippocrate. Mais la bioéthique n’encadre pas seulement la pratique quotidienne du médecin, c’est plus généralement une réflexion collective sur nos actions sur le vivant et sur l’homme en particulier.

L’expérimentation nazi comme déclencheur

C’est la Deuxième Guerre mondiale qui a déclenché cette réflexion. Le verdict du “procès des médecins” de Nuremberg (en 1947) se base sur ce qu’on appelle le Code de Nuremberg qui définit les dix « principes fondamentaux qui devraient être observés pour satisfaire aux concepts moraux, éthiques et légaux concernant, entre autres, les recherches menées sur des sujets humains » pour juger vingt médecins et trois officiels nazis.

Mais pas de trace d’une “physicoéthique” après les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki : ces évènements ont bien sûr fait réfléchir les physiciens, mais sans que ça n’implique un grand mouvement de réflexion comme la bioéthique. On réfléchit sur les erreurs du vaincus, moins sur celles des vainqueurs.

D’ailleurs, les médecins américains ne se sentent pas concernés considérant que ces crimes ne sont dus qu’à l’idéologie nazie. Et il faut attendre la fin des années 60 pour que le monde occidental, et d’abord l’Amérique du Nord, se pose des questions sur ses pratiques.

L’émergence d’un sentiment de responsabilité

La montée de ces préoccupations à la fin des années 60 n’est pas un hasard. Guy Rocher remarque qu’elle coïncide avec l’émergence de la classe moyenne, le désenchantement du monde et de l’histoire, la mutation des rapports sociaux et la fragmentation des zones de vie.

Mais elle coïncide aussi et surtout avec la dépénalisation du suicide aux États-Unis et de l’avortement, le déclin de l’influence de la morale religieuse, l’arrivée de la pilule contraceptive, des premières expériences sur l’ADN et l’émergence du mouvement de l’antipsychiatrie. Certains mouvements dénoncent aussi, à ce moment-là, le paternalisme des médecins et demandent une responsabilisation plus importante du patient.

La biologie et la médecine ont pris une dimension nouvelle et leurs conséquences deviennent importantes à grande échelle (pour la population mais aussi pour les générations futures). Et plusieurs scandales éclatent aux États-Unis. Des expérimentations sont faites sans le consentement des patients. Par exemple, l’injection du virus de l’hépatite A à des enfants handicapés mentaux ou l’affaire de la thalidomide.

Ce médicament a été testé sur des femmes enceintes sans leur consentement et sans que les tests soient approuvés par La Food & Drugs Association (organisation délivrant les autorisations de commercialisation des médicaments aux États-Unis). Et les conséquences furent importantes puisque certains enfants sont nés avec de graves malformations (membres manquants). Aux États-Unis, ces différents scandales déclenchent la création des premiers comités d’éthique, les Institutional Review Boards, en 1971.

En France, les premières lois de bioéthique votées en 1994

Alors qu’aux États-Unis, la question est de savoir si les avancées technologiques respectent le droit des individus, en France, nous nous interrogeons plus sur les pouvoirs qu’a l’humain sur lui-même.

Ce n’est qu’en 1983 que le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) est créé en France. Ce comité se dirige clairement vers une réflexion pluridisciplinaire entre chercheurs, médecins théologiens, juristes, anthropologues et philosophes sans volonté de légiférer mais plutôt de faire réfléchir ces experts sur les problématiques comme le statut de l’embryon, l’eugénisme… Les autorités semblent se méfier du débat public et laissent débattre les experts de ce qui est bon pour notre société.

Pourtant, les débats de bioéthique intéressent beaucoup. Les associations, notamment  religieuses et féministes, commencent à le porter dans la sphère publique.

Mais c’est sans réelle concertation publique que les premières lois de bioéthique sont votées en 1994. Elles encadrent le traitement des données nominatives dans le domaine de la santé, le respect du corps humain, l’étude des caractéristiques génétiques des personnes, la protection de l’espèce humaine et la protection de l’embryon humain. Elles traitent aussi du don des éléments et produits du corps humain, et définit les modalités de la mise en œuvre de l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) et du diagnostic prénatal. Elles devaient être révisées au bout de cinq ans, pour réévaluer les besoins juridiques en matière d’éthique, face aux progrès de la science.

Mais cette réévaluation n’interviendra qu’en 2004. Entre temps le clonage est devenu un sujet important dans le débat public. Cette loi l’interdit qu’il soit reproductif (permettant la vie d’un être humain) ou thérapeutique (permettant d’utiliser les cellules souches d’un embryon pour produire des tissus d’organes). La recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires est en principe interdite avec une dérogation possible. Enfin l’Agence de la biomédecine est créée.

Un essai de débat citoyen

En 2009, pour préparer la nouvelle révision de la loi, des états généraux de la bioéthique ont été organisés  rassemblant les citoyens autour de débats. Mais certaines voix se sont élevées pour critiquer leur mise en place. Jacques Testart, biologiste et père du premier bébé éprouvette en France en 1982, estime que “sans véritable traduction législative, les conférences de citoyens, forums, débats publics, etc., ne peuvent constituer que des exutoires, voire des leurres démocratiques”.

Et effectivement, alors que de nombreux thèmes ont été abordés pendant les états généraux ( la gestation pour autrui, les tests génétiques, l’assistance médicale à la procréation, les cellules souches et les recherches sur l’embryon…),  finalement, peu de choses de ces débats ressortent dans le projet de loi (PDF) présentée par Roseline Bachelot.

Malgré tout, quelques points restent marquants dans le projet. La levée de l’anonymat du don de sperme (avec autorisation du donneur) est la mesure-phare du projet. Pourtant, elle divise encore les opinions et suscite surtout un grand nombre de réactions multilatérales autour d’un don qui a toujours été anonyme. La ministre de la Santé a mis en avant l’intérêt des enfants pour justifier cette mesure. Mais ne serait-il pas plus constructif de mettre en avant l’intérêt de la famille dans son ensemble, autour du projet parental ?

Le texte de la proposition de loi change un tout petit peu les conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation. Tout en rappelant le caractère strictement médical des critères d’accès à cette assistance, il permet aux couples pacsés et hétérosexuels l’accès à ce droit. Les couples non pacsés ou non mariés et les homosexuels ne peuvent toujours pas y avoir accès.

Enfin, le principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires reste. La loi de 2004 l’interdisait (avec une possibilité de dérogations données par l’Agence de la biomédecine) et prévoyait un moratoire de cinq ans. Le projet de loi maintient cette interdiction mais ne prévoit plus de réévaluation de cette mesure. Finalement le débat risque de rester au point mort pendant longtemps. En tout cas il n’est pas aussi vif que ce qui se passe au États-Unis où des décisions sont prises dans un sens puis dans l’autre depuis quinze ans.

Avec la suppression de ce moratoire, certains ont peur que cela marque la fin des révisions (plus ou moins) régulières de la loi. Philippe Bourlitio, de Sciences et Démocratie, pense que la proposition de loi sur “l’organisation du débat public sur les problèmes éthiques” (déjà voté par le parlement mais pas encore passée au sénat) est une sorte de compensation à la suppression de la révision obligatoire de la loi de bioéthique. Mais il critique fortement ce texte, expliquant que le Comité consultatif national d’éthique serait le seul habilité à décider si un débat est nécessaire.

Bref, le débat public sur la bioéthique risque de rester à l’état embryonnaire en France.

>> Illustrations FlickR CC : mars_discovery_district, Dunechaser

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[docu] Qui a peur de l’Islam? http://owni.fr/2010/10/05/docu-qui-a-peur-de-lislam/ http://owni.fr/2010/10/05/docu-qui-a-peur-de-lislam/#comments Tue, 05 Oct 2010 07:06:39 +0000 John Paul Lepers http://owni.fr/?p=30220 Cliquer ici pour voir la vidéo.

Depuis le très bon documentaire sur les Gitans, “Qui a peur des Gitans”, l’équipe de La Télé Libre continue de sillonner la France à bord de son camping-car increvable. Menés par un John Paul Lepers toujours aussi droit dans ses bottes, ils vont cette fois-ci questionner l’Islam.

Entre le grand raout sur l’identité nationale, le projet de loi visant à interdire le port de la burqua et les questionnements sur les minarets, on voit poindre depuis quelques temps cette curieuse crainte d’une “islamisation” de la société Française. Qu’à cela ne tienne, tous à bord et en route pour la discussion !

Micro en main, John Paul Lepers et son équipe partent à la rencontre de nombreux témoins. De l’Imam de Villeneuve d’Asq à l’abbé de Saint-Nicolas du Chardonnay, des jeunes musulmans de Roubaix au curé des quartiers nord de Marseille, en passant par le sulfureux Tariq Ramadan ou le passionnant recteur de la mosquée de Bordeaux, Tareq Obrou, on y entend des voix multiples, diverses, opposées.

Un bonheur de documentaire, un vrai questionnement humble et sans réponse prépensée. Juste les valeurs républicaines de la laïcité comme lampe torche et l’échange en compagnon de route. À voir.

La page de La Télé Libre consacrée à “Qui a peur de l’Islam”.

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Une journée de la laïcité ? http://owni.fr/2010/03/19/une-journee-de-la-laicite/ http://owni.fr/2010/03/19/une-journee-de-la-laicite/#comments Fri, 19 Mar 2010 10:02:27 +0000 Stéphane Favereaux http://owni.fr/?p=10249 Le 24 février 2010, Jacques Myard, député, déposait à l’Assemblée Nationale un projet de loi pour ne pas oublier que nous vivons dans un état laïc depuis que la loi de 1905 a été votée.

Le principe de la laïcité doit rester un des acquis fondamentaux de la République. Depuis que la loi du 9 décembre 1905 instaurant la séparation de l’Église et de l’État est inscrite dans les valeurs de la République, les tensions politico- religieuses qui caractérisaient  la société française depuis la Révolution s’étaient progressivement apaisé. Les sphères politiques et religieuses se séparaient clairement.

Bonjour, tu aimes la laïcité

Bonjour, tu aimes la laïcité ?

La laïcité devenue constitutionnelle depuis 1946, rappelée en 1958 dans le préambule de la Constitution du 4 octobre, n’est pas une simple déclaration de principe dont on peut faire ce que l’on veut en fonction des vents politiques, sociaux, sociétaux, religieux et des faits d’actualité.

Il peut paraître étonnant de voir apparaître sur l’Owni un article sur la laïcité, pourtant le fait religieux évolue depuis plusieurs années, et il évolue au-delà les faits de censure, de désinformation au nom de principe religieux, sur le Net comme dans la société.  Les groupes religieux n’hésitent plus à faire pressions sur les enseignants, sur les blogueurs, les médias…

Pourtant, cette loi de 1905 constitue un socle fondamental du pacte républicain. Elle reste garante d’une véritable paix civile, sociale, loin de toute forme de querelle religieuse dont l’histoire de France est émaillée. Les attaques systématiques, systémiques, contre cette loi sont aujourd’hui de plus en plus fréquentes.

L’éducation en est en partie responsable. Le civisme dont tous les médias tirent des conclusions hâtives n’est plus prioritaire, l’éducation fait de plus en plus défaut dans les dernières décisions ministérielles qui concernent l’Histoire. Sans Histoire, comment un élève, quel que soit son niveau, peut-il se situer dans sa propre histoire ?

Sans un accès au savoir et sans le développement nécessaire de la curiosité sur le fait social et sa compréhension, nulle possibilité de développer une volonté d’implication sociale, nulle possibilité de mobiliser pour défendre des valeurs républicaines, sociales. De fait, cette journée de la laïcité s’inscrit dans cette volonté de ne pas oublier que les services publics, que l’État au-delà, la société en général, se doit d’être neutre quant au fait religieux qui demeure à ce jour méconnu des jeunes générations. S’il l’est, il est souvent caricatural.

Les jeunes caricaturent souvent le fait religieux

Les jeunes caricaturent souvent le fait religieux

En mettant en avant le principe de neutralité religieuse, de liberté individuelle, le législateur est régulièrement intervenu pour rappeler et réaffirmer le principe de laïcité. La loi du 15 mars 2004 encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans tous les espaces publics revient donc sur cette loi de 1905. Le récent « débat » sur le port de la burqa nous rappelle également à une vigilance sur ce thème.

Cependant, le comportement de certains groupes religieux, quelle que soit la religion, dont les motivations sont très clairement politiques, vise à imposer par des pressions sur les élus des lois sapant ce principe constitutionnel fondamental. Une partie des dirigeants politiques eux-mêmes semble prête à remettre en cause le principe de laïcité.  Les pouvoirs publics doivent pourtant impérativement le faire respecter dans la sphère publique.

Le retour des expériences rappelle donc que l’éducation est essentielle : « Toute génération nouvelle est un peuple nouveau » dit Toqueville. Il est nécessaire de rappeler ces principes, de rappeler le fait historique, religieux, de telle manière que la perception sociale ne soit pas faussée par les discours factuels que l’on peut trouver dans les médias, à la vision essentiellement parcellaire voire spectaculaire fondée d’abord sur une actualité immédiate souvent mal contextualisée et conceptualisée.

La défense de toutes nos libertés, qu’il s’agisse de la liberté d’information, de la liberté d’expression, des libertés sur Internet que les dispositifs légaux actuellement en débat mettent à mal, est essentielle. Il convient d’enseigner en permanence aux jeunes générations le cadre laïc républicain et les valeurs corollaires que cela implique : tolérance, ouverture d’esprit, ouverture à l’autre, curiosité, etc.

Une journée de la laïcité peut-être considérée comme vaguement symbolique. Elle est pourtant  parfaitement opportune en ceci qu’elle rappelle à tous les piliers républicains. Que cette journée soit abordée à l’occasion de discussion dans les écoles, collèges et lycées, dans les médias permettra de rappeler que les combats sociaux qui ont abouti avec la loi de 1905 sont d’abord des combats qui ont permis de fonder une société équilibrée.  L’actualité immédiate fragilise ce principe, il faut donc permettre à la société de se souvenir de ces combats et de ses implications.

Toute la société, tous les médias sont concernés.

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PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le 9 décembre de chaque année est déclarée journée nationale de la laïcité.

Article 2

Dans tous les établissements d’enseignement, les enseignants consacrent une partie des cours de la journée à des exposés et à des discussions sur le principe de la laïcité dans la société française.

Article 3

Les services publics radios et audiovisuels traitent dans leurs programmes de laïcité.

> Illustration par Capt. Tim sur Flickr

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Jeux en ligne, ne nous alarmons pas http://owni.fr/2010/02/04/jeux-en-ligne-ne-nous-alarmons-pas/ http://owni.fr/2010/02/04/jeux-en-ligne-ne-nous-alarmons-pas/#comments Thu, 04 Feb 2010 16:39:35 +0000 Samuel (Authueil) http://owni.fr/?p=7674

Le Sénat examine très prochainement le projet de loi sur les jeux en ligne, avec la question du filtrage qui passionne le monde de l’internet. Le site Numérama s’excite et pcinpact s’interroge autour d’un amendement d’Ambroise Dupont, rapporteur pour avis, qui entend sortir le juge du dispositif. Cette agitation est un peu vaine, car cet amendement n’a strictement aucune chance de prospérer !

La commission saisie au fond, c’est la commission des Finances. Avant d’être une question de “culture”, les jeux en ligne, c’est une affaire de gros sous. C’est donc le texte issu de la commission des finances qui servira de base à la discussion en séance publique. Les amendements de la commission des affaires culturelles seront des amendements parmi d’autres, qui auront peut être un petit peu plus de poids du fait qu’ils ont été adoptés par une commission.

Ce qui compte, c’est le point de vue du rapporteur de la commission des Finances, François Trucy, qui est exprimé ici. Il est pour le maintien du juge dans le dispositif. Son argumentation est un peu différente de celle des députés, mais finalement assez complémentaire. Pour lui, la décision du conseil constitutionnel sur hadopi, qui érige l’accès à internet en “droit constitutionnellement protégé” est un peu fragile pour justifier, à elle seule, que l’on ne puisse confier qu’au juge le filtrage ou le blocage de sites internet. Par contre, il relève que cette décision implique de qualifier juridiquement des faits, et que dans le domaine pénal, c’est quand même nettement mieux de confier cela à un juge, qui s’y connaît bien mieux là dessus qu’une autorité administrative. C’est plutôt une bonne argumentation, car cela pose un deuxième verrou.

Le gouvernement étant favorable à l’intervention du juge, le rapporteur sur le fond l’étant aussi, cela laisse bien peu de place pour ce cher Ambroise Dupont. Quelle mouche a bien pu le piquer, surtout qu’il ne se contente pas d’un amendement. Il propose aussi d’exonérer complètement les FAI de leur responsabilité en cas de surblocage. Allez y, lâchez vous, sortez l’arme nucléaire, vous êtes couverts ! Vous pensez bien que les FAI vont se gêner. Ils vont utiliser les techniques qui leur causent le moins d’inconvénients. Je pense que le sénateur Dupont a été chargé de “faire plaisir” aux différents lobbies qui se sont manifestés sur le sujet, en déposant leurs amendements, afin qu’ils puissent être débattus. Mais le fait qu’ils soient portés par le rapporteur pour avis (secondaire) et non par le rapporteur sur le fond (principal) est significatif. Ils ne passeront pas.

Le jeu parlementaire est parfois très subtil, car il consiste à rechercher en permanence des équilibres, à gérer des intérêts et des demandes contradictoires, tout en restant dans le cadre juridique et constitutionnel, et en respectant, un tant soit peu, l’intérêt général. Pas toujours évident, d’où des chemins parfois tortueux et obscurs pour les profanes.

» Article initialement publié sur Authueil

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