OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le Soudan censure sa révolte http://owni.fr/2012/07/23/le-soudan-censure-sa-revolte/ http://owni.fr/2012/07/23/le-soudan-censure-sa-revolte/#comments Mon, 23 Jul 2012 15:27:31 +0000 Florian Cornu http://owni.fr/?p=116238

Manifestation détudiants à l'université des sciences et technologies (Soudan), via Iamsudanes (youtube)

Alors que la journaliste égyptienne Shaimaa Adel, emprisonnée depuis trois semaines pour avoir couvert les révoltes soudanaises vient d’être libérée, le mouvement de contestation engagé à Khartoum continue. Dans un contexte d’arrestations massives, les émeutes sont quotidiennes et l’accès au web tend à devenir un enjeu primordial pour l’avenir du mouvement.

Le 16 Juin dernier, des étudiantes de l’université de la capitale ont commencé à protester contre l’annonce de mesures d’austérité entraînant une énième élévation du prix de la nourriture et du transport. Immédiatement réprimées, les manifestations se sont répandues comme une trainée de poudre dans d’autres universités du pays avant de rallier différentes strates de la population.

Si les protestations étaient initialement motivées par l’annonce d’un plan d’austérité, elles ont rapidement mué en un mouvement de revendication démocratique et populaire exigeant la fin du régime du président Omar el Béchir.

Depuis le début des révoltes, la maîtrise de l’information joue un rôle clé pour le pouvoir. Avec la multiplication des zones de contestation, ce dernier met tout en œuvre pour couper la communication entre les émeutiers et garder le contrôle des médias. Arrestations de journalistes et de blogueurs, censure de la presse papier avant publication et restriction du web sont autant de moyens utilisés par les autorités pour briser l’élan des manifestants.

Le web, matrice des révoltes

Malgré l’absence d’infrastructures Internet massives au Soudan (seule 10% de la population y aurait accès et 50%  posséderait un téléphone portable) le web joue un rôle crucial pour contourner la censure et organiser les manifestations.

D’abord, grâce à quelques sites d’activistes comme Girifna ou Sudanchangenow qui diffusent régulièrement des informations sur les émeutes et rassemblements quotidiens.  Sudanchangenow a même mis en place une carte interactive permettant de voir au jour le jour les foyers de révoltes, les arrestations, les violences ou encore la couverture médiatique des différents soulèvements. Si le nombre de rapports diffusés ces derniers jours connait un net ralentissement, il est compliqué de savoir s’il s’agit d’un problème de sécurité des sources ou une simple baisse des témoignages recueillis.

Plusieurs blogs, dont Sudanrevolts tentent également de lutter contre la désinformation gouvernementale en utilisant le crowdsourcing pour rassembler, entre autre, les témoignages des personnes arrêtées. Comme l’expliquent ses administrateurs :

Sudanrevolts traite du combat de la population pour le changement au Soudan. Nous essayons pour ce faire d’agir comme une plaque tournante pour diffuser l’information et les histoires de notre révolution [...] c’est un site pour la population fait par la population, merci de nous envoyer vos liens, idées, photos et témoignages- tout ce qui selon vous peut-être pertinent et mérite d’être partagé.

Ce sont aussi les réseaux sociaux qui se font l’agora majeure du mouvement. La plupart des informations, photos et vidéos transitent par le hashtag  #Sudanrevolts sur Twitter et Facebook qui rend compte des arrestations mais agrège également des messages de soutien provenant d’un peu partout dans le monde.

D’après le site uncut, l’accès à l’information est particulièrement compliqué pour les activistes qui n’utilisent pas ces médias car le bureau national des télécommunications bloque de nombreux sites anti-gouvernementaux et de presse en ligne.  C’est le cas des sites  Hurriyat et Al-Rakoba qui se révèlent inaccessibles depuis le Soudan, exceptés en utilisant des proxys.

Un ralentissement global du débit de connexion à Internet complique également les campagnes de communication et les appels à manifester. Par ailleurs, les forces du National Security Service (la police soudanaise) confisquent presque toujours le matériel pouvant servir à communiquer lors des arrestations (téléphones portables, ordinateurs, appareils photo ou caméras) dans le but de juguler la diffusion des preuves de la répression.

A cette censure directe s’ajoute la présence des autorités soudanaises sur le web, dont l’usage exige de plus en plus de précautions. C’est ce qu’expliquait le journaliste Alan Boswell, spécialiste du Soudan peu après une série d’émeutes en janvier 2011:

Au lieu de se contenter de couper l’accès à Internet ou d’empêcher les communications par sms comme le font les autres régimes, les services de sécurité soudanais s’emparent de ces outils. Ils ont même engagé une sorte de “cyber-jihad” contre les activistes anti-régime. Les agents du gouvernement ont infiltré les sites qui lui sont hostiles, s’adonnant à la désinformation et essayant de recouper les sources pour identifier les leaders. Ils postaient également des liens pornographiques sur Facebook et dénonçaient ensuite les sites d’activistes auprès de la direction de Facebook pour violation des règles d’utilisation.

Joint il y a peu par le Centre européen du journalisme, l’activiste Rawa Sadiq (le nom a été modifié) affirmait que les forces de police soudanaises avaient montré leurs tweets à de nombreuses personnes arrêtées, preuve que les autorités surveillent Twitter. Des membres du groupe Girifna ont également été la cible d’arrestations à leur domicile tout comme le journaliste citoyen Usamah Mohamad (@simsimt) ou la blogueuse et militante des droits de l’homme Mimz, (@MimzicalMim), relâchée depuis.

L’Hacktivisme contre la censure

L’un des enjeux de la riposte réside dans le contournement technique de la censure.  Et à ce niveau, les pratiques semblent évoluer rapidement grâce à la mobilisation de certains blogueurs et de collectifs de hackers.

Un observateur américain expliquait il y a peu au réseau liberationtech que le nombre d’utilisateurs du logiciel de proxy controversé ultrasurf qui est censé permettre de contourner la censure et de s’anonymiser a explosé en l’espace de quelques jours dans le pays. Reste à savoir si la version du logiciel est saine, contrairement à celle largement diffusée en Syrie.

Bon nombre de blogueurs tentent par ailleurs de faire connaître les moyens de se protéger sur le web et les précautions à prendre sur les réseaux sociaux. C’est le cas de Yousif Al-Mahdi, dans un billet de blog relatif à la protection des données publié le 4 juillet.

D’après un article du site d’activistes Girifna, un groupe se réclamant des Anonymous s’est attaqué à des sites du gouvernement soudanais en réponse à la propagande du régime. La vidéo ci-dessous était postée quelques jours après le début des émeutes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Enfin, c’est dans le but d’offrir aux activistes les moyens techniques de contourner la censure et le traçage que le réseau de hackers Telecomix a diffusé une note expliquant comment se connecter au web malgré les coupures et la censure.

Comme nous l’a expliqué, Cantor, le web semble accessible mais beaucoup de témoignages signalent que les connexions fonctionnent au ralenti, un peu comme si les fournisseurs d’accès (FAI) soudanais étranglaient Internet. D’après lui, les précautions à prendre sont multiples :

On a dans un premier temps fait parvenir des numéros de modems à appeler pour que les gens aient accès à une connexion. Et pour ce qui est de l’anonymat, on a recommandé d’utiliser Tor à travers des proxys. Ça assure un bon encryptage, un surf anonyme et pour l’instant, ça a l’air de bien fonctionner. On recommande également de ne pas utiliser de téléphone portable ou satellitaire car la police soudanaise intercepte les communications en utilisant des outils modernes d’interception légale par les FAI.


Pour plus d’informations, visitez le site globalvoices qui publie régulièrement des billets sur l’évolution des révoltes.

Capture d’écran, manifestation d’étudiants soudanais à l’université des sciences et technologie via Iamsudanes

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Cette crise ne passera pas l’Ibère http://owni.fr/2012/07/04/cette-crise-ne-passera-pas-libere/ http://owni.fr/2012/07/04/cette-crise-ne-passera-pas-libere/#comments Wed, 04 Jul 2012 16:06:15 +0000 Florian Cornu http://owni.fr/?p=114728

Acampada Barcelona, 27/05/2011. Après l'attaque de la police - (cc-byncnd) Julien Lagarde

L’ouvrage collectif Aftermath “les cultures de la crise économique” [pdf] qui vient de paraître en Angleterre aux éditions Oxford University Press constitue le fruit de la réflexion et de l’enquête de Manuel Castells sur les réseaux de solidarité économiques nés de la conjoncture actuelle. Nous avons rencontré l’auteur à Paris lors d’une conférence intitulé “Une autre économie est possible” organisée par la fondation maison des sciences de l’homme. Accompagné d’Alain Touraine et Michel Wieviorka, le sociologue, titulaire de la Chaire “La société en réseaux” du Collège d’études mondiales a présenté une synthèse de différents travaux effectués ces dernières années.

De part son titre, la conférence  revient un peu à la racine du parcours politique de celui qui, dans sa jeunesse, était un anarchiste engagé dans l’anti-franquisme en Catalogne. Comme il le concède lui même, il poursuit en quelque sorte ce travail en analysant la transformation des rapports de pouvoir (cf. vidéo ci-dessous) dans l’ensemble de nos sociétés et dans le monde. Le tout, à travers la transformation organisationnelle technologique et culturelle de la communication.

Selon sa pensée, le modèle de croissance “efficace, global et informationnel” dans lequel le monde se complaisait avant la crise a été bâti grâce à Internet et plus largement, grâce aux réseaux de communication et aux nouvelles technologies. Le “vide social” laissé par la crise économique serait ainsi à l’origine de la naissance de nouveaux réseaux de solidarité économiques alternatifs un peu partout dans le monde. Sorte d’émanations concrètes et subversives d’un mouvement social continu.

Aux racines de la crise

Internet. Si ce réseau est né avec la culture libertaire issue des mouvements sociaux des années 1970, il a également été accaparé par l’économie et la finance. Comme le précise le sociologue :

Ça a été à la base de la Silicon Valley mais également de toute la redéfinition du jeu économico-financier dans le monde. D’un coup, l’idée a été d’utiliser des systèmes mathématiques, des innovations, au service d’une capacité institutionnelle accrue dans la dérégulation et la libéralisation de toute l’activité économique. Le but ? Échapper au contrôle institutionnel et social pour construire un système économique à partir de produits financiers essentiellement immatériels créant leur propre valeur.

Ce nouveau  mécanisme financier basé sur du capital “synthétique” aurait  progressivement fait perdre au travail et au capital tout lien avec leur dimension sociale. Dès lors, il s’agissait d’inclure ce qui avait de la valeur et d’exclure ce qui n’en n’avait pas. On a basculé progressivement, de façon métaphorique, d’un monde découpé en points cardinaux à un monde en “In” et “Out” comme dans le monde des réseaux.

Espagne Labs: inventer la démocratie du futur

Espagne Labs: inventer la démocratie du futur

Des assemblées numériques reliées entre elles, un réseau social alternatif, des outils open source et des licences libres ...

Mais ce nouveau modèle qui s’est établi entre les années 1980 et 1990 s’est effondré à cause de deux présupposés qui se sont révélés être faux : premièrement, le système reposait sur l’idée qu’en se servant de l’immobilier comme garantie pour les prêts, le profit des banques progresseraient toujours. Deuxièmement, la capacité d’endettement était infinie puisque fondée sur le marché inépuisable de l’immobilier. C’est ce qui a permis d’établir une économie financière pyramidale :“on prête, les gens s’endettent, on vend la dette à d’autres gens qui les vendent à d’autres, ce qui semblait ne pas avoir de fin”.

Ce sont globalement deux types de conséquences politiques qui ont surgi. D’une part, le développement de mouvements ultranationalistes et racistes devenant le fond de commerce d’un personnel politique opportuniste. De l’autre, la naissance de mouvements de révolte sociale dans toutes les parties du monde.

Dont ce que l’on peut appeler les “mouvements sociaux continus”. C’est le cas des “indignados” espagnols qui, la plupart du temps, discutent, débattent, s’organisent et ne se manifestent en public que ponctuellement. On a donc actuellement une redéfinition des règles du jeu sociétal, économique et culturel“aussi importante qu’à Bretton Woods.

La genèse d’un mouvement social continu

Les propositions de ¡Democracia Real Ya!

Les propositions de ¡Democracia Real Ya!

Le mouvement ¡Democracia Real Ya! a annoncé lundi dernier en conférence de presse la préparation d'une manifestation ...

Des dizaines de milliers de gens ont ainsi décidé un peu partout dans le monde de changer leur vie. Pas en sortant ou en s’excluant de la société  mais en organisant leurs pratiques économiques, le commerce, les services qu’ils utilisent en s’appuyant sur d’autres réseaux de solidarité, des réseaux de sens, des réseaux d’autoproduction au sein même de la cité.

En Catalogne, ils sont très nombreux et, selon l’analyse de Castells, ils tissent un nouveau tissu social, culturel et économique remplissant le vide social laissé par la crise. Le point commun de ces réseaux est qu’ils rejettent  le système dans lequel nous vivons. Loin d’être des néo-hippies,  la plupart des personnes qui y sont impliquées pourraient trouver un emploi relativement convenable mais semblent préférer changer leur vie en reprenant possession du temps :

Le temps, seule richesse que nous possédons tous.

L’un des choix opéré par les membres de ces réseaux dont la moyenne d’âge est de 35 ans, est donc de s’investir dans des activités et structures solidaires en se contentant d’un petit salaire pour avoir davantage de temps disponible. Bon nombre de vidéos, qui rendent compte de ces pratiques, ont d’ailleurs été tournées dans le cadre du projet Aftermath, réalisé au même moment que l’ouvrage collectif mentionné plus haut. La suivante retrace la vie de quelques-uns de ces projets :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les types et la nature des réseaux sont variés : autoproduction agricole, de biens, de services, idée d’une monnaie sociale avec principe de banques de temps (“je vous offre deux heures de service voilà ce que je sais faire”, et on obtient de la monnaie sociale), coopératives de production, coopératives de logements, radios pirates, réseaux de production agricole dans la ville, réseaux de production agro-écologiques (“très présents dans le midi et le sud de la France”), réseaux de hackers, cuisines coopérative, etc.

C’est un ensemble de pratiques qui existe partout du monde. À New York, par exemple, le sociologue avance que cela rassemble 55 000 personnes. Dans le cas de Barcelone, cela représenterait environ 40 000 personnes, soit 1% de l’aire métropolitaine. Cependant, certaines pratiques alternatives rassemblent de plus en plus. C’est le cas de la banque éthique, qui travaille sans profit, prête selon des critères sociaux et compte environ 300 000 clients dans l’aire de Barcelone.

Beaucoup de ces nouveaux activistes étaient déjà impliqués dans des mouvements alternatifs, mais viennent aux “mouvements sociaux continus” pour échapper à des carcans idéologiques. Leur problème central n’est pas la survie économique : ils pourraient avoir un boulot moyennement payé mais préfèrent avoir un boulot peu payé et avoir beaucoup de temps. Ils savent qu’ils ne veulent pas vivre comme aujourd’hui, ils refusent de s’intégrer, mais également de se marginaliser.

Madrid: fonctionnement d’une assemblée de quartier

Madrid: fonctionnement d’une assemblée de quartier

OWNI vous propose de plonger au cœur d'une assemblée de quartier et de comprendre son organisation et, au-delà, le ...

Ils construisent donc des réseaux très vastes pour recréer une vie sociale, une vie dans les coopératives, dans les quartiers… il y a beaucoup de maisons occupées qui sont transformées en centres sociaux, de réparations de vélos, etc. La notion d’être ensemble y est essentielle. L’amitié, la coopération, la sociabilité contre l’individualisme et la compétitivité de la société.

L’expérimentation est le principe qui guide l’organisation de ces réseaux. Quelque part, la manière dont ils font les choses compte plus que le contenu de leurs pratiques car l’essentiel est de réapprendre à vivre et de repenser une société à partir de ces expériences. Ils refusent tout modèle abstrait, toute idéologie, tout parti politique. Le principe : ils veulent reconstruire la société à partir de la réussite de leur organisation quotidienne.

Des pratiques répandues au sein de la population

L’un des enjeux de tout ce travail de Manuel Castells en Catalogne est de comprendre la sociologie des citoyens impliqués dans ces réseaux de façon directe ou indirecte. Il s’agit également de percevoir le degré d’usage de ces pratiques par l’ensemble de la population.

Pour ce faire, le sociologue a organisé des débats entre ces militants et des gens “normaux” dont un certain nombre disait avoir “peur de ce genre de vie”. La réponse offerte par ceux qui désirent aujourd’hui changer la société :

Vous savez, quand vous serez arrivé à l’âge de la retraite, vos pensions ne seront plus là. Car les pensions dépendent de systèmes financiers qui risquent de s’effondrer définitivement, contrairement à nos réseaux de solidarité.

La conclusion intéressante de cette enquête réside également dans l’implication du plus grand nombre à ces pratiques “alternatives”. Les gens impliqués ont des statuts économiques et un capital culturel très variés, qu’il s’agisse de personnes utilisant ces réseaux pour leur survie ou ceux qui s’y investissent simplement par idéologie. Par ailleurs, l’étude de Castells a révélé que les personnes les plus impliquées étaient très éduquées mais précaires économiquement. Le point commun étant que les individus se constituent en “sujet social pour changer leur vie et changer ainsi la société”.

D’après Castells, comme ce militantisme refuse toute institutionnalisation, on pourrait dire que ce sont des pratiques utopiques.

Toutes les grandes idéologies et mouvements de l’Histoire seraient ainsi parties de l’utopie : le libéralisme, le communisme, le socialisme sont des utopies. Les pratiques matérielles s’organisent toujours autour de systèmes de références et apparaissent comme irréalisables pour un certain nombre d’acteurs de la société. La réponse des acteurs de ces utopies (dans le cas de ces réseaux de solidarité), c’est que c’est le système actuel qui ne peut pas fonctionner et ne fonctionne plus, un système politique qui n’est pas légitime et contesté par l’ensemble des gens et rejeté par des secteurs de plus en plus large de la société.

Ces réseaux veulent changer la vie au jour le jour, montrer que c’est possible pour “changer la société de l’intérieur”. Ainsi, c’est dans ce mode de vie visant à construire un autre quotidien que l’on trouve peut-être les prémices de la nouvelle société. Société naissant au cœur d’une crise aiguë : celle d’un système global fondé sur la finance, qui s’est, depuis bien longtemps, désolidarisé du social.


Photo par Julien Lagarde [CC-byncnd] via sa galerie Flickr

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Sommes-nous prêts à la reconstruction du monde ? http://owni.fr/2011/05/22/sommes-nous-prets-a-la-reconstruction-du-monde/ http://owni.fr/2011/05/22/sommes-nous-prets-a-la-reconstruction-du-monde/#comments Sun, 22 May 2011 11:07:57 +0000 aKa (Framasoft) http://owni.fr/?p=63376 Il n’était pas possible d’envisager un système d’exploitation ou une encyclopédie universelle libres. Et pourtant GNU/Linux et Wikipédia l’ont fait.

Il n’était pas possible d’envisager la chute de tyrans installés depuis plusieurs décennies dans des pays sous contrôle. Et pourtant les Tunisiens, les Égyptiens et les Libyens l’ont fait.

Il n’est pas possible de voir à son tour le monde occidental s’écrouler parce que contrairement aux pays arabes il y règne la démocratie. Et pourtant, si l’on continue comme ça, on y va tout droit.

Parce que le problème n’est plus politique, il est désormais avant tout économique.

Et lorsque ceci adviendra, nous, les utopistes de la culture libre, les idéalistes des biens communs, nous serons prêts à participer avec d’autres à la nécessaire reconstruction. Parce que nous avons des modèles, des savoirs et des savoir-faire, des exemples qui marchent, de l’énergie, de la motivation, de l’enthousiasme et que cela fait un petit bout de temps déjà que nous explorons les alternatives.

Il n’est guère dans les habitudes du Framablog de s’aventurer dans de telles prophéties. C’est pourtant, à la lecture de la vidéo ci-dessous, la réflexion « brève de comptoir » qui m’est venue ce matin et que je vous livre donc telle quelle à brûle-pourpoint.

Il s’agit d’une vidéo que vous avez peut-être déjà vue car elle a fait le buzz, comme on dit, l’hiver dernier. Sauf que dans « le monde selon Twitter », rien ne remplace plus vite un buzz qu’un autre buzz (parfois aussi futile qu’un lipdub UMP). Elle mérite cependant qu’on s’y attarde un tout petit peu, au moins le temps de sa lecture qui dure une dizaines de minutes.

Nous ne sommes pas à la cellule du Parti communiste de Clichy-sous-Bois mais à la Chambre du Sénat américain, le 10 décembre 2010, et le sénateur du Vermont Bernie Sanders est bien décidé à prendre la parole contre la décision de Barack Obama de reconduire les exemptions d’impôts décidées par George Bush. Une parole qu’il ne lâchera que huit heures et demi plus tard en tentant de faire obstruction par la technique parlementaire dite de la « flibuste » (on se croirait en plein épisode d’À la Maison Blanche sauf que c’est la réalité).

Et son discours débute ainsi : « M. le Président, il y a une guerre en cours dans ce pays… »

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Une guerre que mènent les ultra-riches contre une classe moyenne qui doit par conséquent lutter pour sa survie. L’exposé est édifiant et il est étayé par de nombreuses références chiffrées qui font froid dans le dos (1% des américains possèdent aujourd’hui un quart de la richesse du pays, 0,1 % en possèdent même un huitième).

Oui la classe moyenne des pays occidentaux se meurt. Or c’est précisément elle qui fournit le gros des troupes du logiciel libre et sa culture (on pensera notamment à tous ces jeunes intellectuels précaires et déclassés). Viendra le jour où elle n’aura plus rien à perdre. Et elle descendra elle aussi dans la rue non seulement pour voir des têtes tomber mais pour proposer et mettre en place un autre monde possible…

Tout est effectivement en place pour que cela explose le jour où nous arrêterons de nous gaver de pubs, de foot, de téléréalité, d’iTruc et même de Facebook; le jour où nous arrêterons de regarder de travers celui qui pense-t-on ne nous ressemble pas; le jour où nous arrêterons également de croire avec nos médias et nos sondages que voter centre droit ou centre gauche pour élire un homme sans pouvoir pourra changer la donne.

Et n’allez pas me dire que ceci ne concerne que les USA, puisque tout ce qui a été fait en Europe ces dernières années consistait peu ou prou à leur emboîter le pas.

On notera par ailleurs que même certains ultra-riches commencent à comprendre que cela ne tourne pas rond. C’est ainsi qu’on a vu récemment les repentis milliardaires Bill Gates et Warren Buffet proposer aux autres milliardaires de donner un bonne part de leur colossale fortune à des bonnes œuvres. C’est touchant. Il n’est jamais trop tard pour se découvrir philanthrope et obtenir l’absolution mais cela n’y changera rien car le problème est structurel.


Article publié initialement sur Framablog, avec pour titre initial : “ Nous sommes prêts à participer nous aussi à la reconstruction du monde”

Crédit Photo Flickr : Jane Marple

Image sous licences CC by-sa et GNU Free Documentation License

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Les bibliothèques vont-elles survivre? http://owni.fr/2011/04/27/les-bibliotheques-vont-elles-survivre/ http://owni.fr/2011/04/27/les-bibliotheques-vont-elles-survivre/#comments Wed, 27 Apr 2011 10:30:41 +0000 microtokyo http://owni.fr/?p=58009 A l’heure où l’information se consomme et se périme aussi vite que des asperges primeur, on pourrait presque se demander à quoi bon encore aller dans une bibliothèque quand tout est accessible depuis notre connexion internet personnelle.
Paradoxe : alors que la demande d’information n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui, les quelques 3.000 bibliothèques publiques (municipales, universitaires et départementales de prêt) de l’Hexagone ne cessent d’accuser une constante diminution de leur fréquentation depuis près de 30 ans.

La très officielle enquête des pratiques culturelles des Français de 2008 montre ainsi que nous lisons moins d’imprimés et préférons davantage le web et le multimédia. Riches heures que celles de l’hypertexte et du collaboratif : on cherche et co-construit du savoir sur Wikipedia ou Open Content Alliance. On va et apporte des news sur des sites de data-journalisme comme Owni ou Openleaks. Il semblerait que les citoyens aient fait sa fête au savoir encyclopédique, que les flux numériques aient gagné contre les stocks des collections imprimé.

Librarian, r u has been (lol) ?

Il y a aussi Google. La petite fenêtre du moteur de recherche rend sacrément service quand il s’agit d’aller à la pêche à n’importe quelle info. Les programmes Google Books et Google Libraries travaillent quant à eux à numériser des millions d’ouvrages et documents à l’échelle planétaire… patiemment sélectionnés et préservés par des bibliothécaires au fil des siècles.

Dans une tribune désormais fameuse intitulée La bibliothèque universelle, de Voltaire à Google, le directeur de la Bibliothèque de Harvard, Robert Darnton, donne le ton : numériser oui, encore faut-il que ce travail respecte les droits d’auteur et s’inscrive dans un souci d’accès durable au savoir par tous, dégagé des vicissitudes de l’offre marchande.
Vu les tractations tendues ici, et là-bas avec la firme californienne, ce n’est pas encore gagné. Certes, Google n’est pas (encore ?) capable de proposer l’équivalent d’une bibliothèque numérique comme Gallica ou Europeana.

Mais tout de même. L’accès facile et instantané à toute l’information mondiale par le web et les formats numériques peut renforcer l’image vieillotte de la bibliothèque et du bibliothécaire. Ou plutôt de la bibliothécaire : vieille fille austère davantage habituée à ranger des bouquins sur des rayons qu’à conseiller le lecteur et animer les foules. Pour peu que vous lui demandiez une information, vous risquez le “il faut aller voir dans l’autre service”.

Une question un peu précise ? Voilà votre vieille fille de chercher sur Google, ce que vous auriez pu faire vous-même. Frustré(e), vous retournez à votre place en doutant que la bibliothécaire connaisse aussi bien l’affaire Wikileaks et la série des Grand Theft Auto que les œuvres de Virgile. Pas étonnant qu’aucun bibliothécaire n’ait marqué l’Histoire ! Borgès ? Bataille ? Leibniz ? Connais pas ! Barthes ? Ah oui, le footballeur…

De leur côté, les gouvernements semblent se dire que le droit à l’information et à la formation du citoyen n’est qu’un gadget démocratique coûteux. Le Manifeste de l’Unesco et de l’IFLA sur la bibliothèque publique ? Mythologie hippie ! Outre Manche, les coupes budgétaires forcent les bibliothèques à privatiser, externaliser, privilégier le bénévolat au salariat… ou à fermer.

La résistance s’organise comme elle peut avec des collectifs de soutien comme la Save our library day organisée par la puissante CILIP. Une cartographie des exactions ici. En France, la Loi sur l’autonomie des Universités (LRU) n’oblige plus les Services communs de documentation (dont font partie les bibliothèques universitaires) à siéger aux conseils d’administration. Plus globalement, que ce soit dans la fonction territoriale ou d’État, les postes se raréfient. C’est le fameux 1 sur 2, complètement trendy chez les libéraux.

Créer des liens

Les bibliothèques, c’est un peu le verre à moitié vide ou à moitié plein. Face aux mutations rapides du traitement de l’information, du savoir et des sociétés, leurs fonctions sont en pleine mutation. Mais rassurons-nous, l’avenir est incertain pour tout le monde. Si en France, aucune loi ne définit les missions des bibliothèques, sans doute vaut-il mieux considérer ce vide juridique comme un espace de liberté. Commençons par nous rappeler que la lecture est un acte éminemment politique, une lutte contre les conformismes, le mercantilisme et la banalisation de la nouveauté.

Lire, c’est lier aussi. La bibliothèque est un espace public ouvert à tous. Implanter une bibliothèque dans un département, une ville, un quartier est un acte fort pour des élus. Au même titre que les médias, la bibliothèque, c’est une certaine idée de l’Homme dans la cité et de la cité elle-même. En termes de comm’ institutionnelle, la présence d’une bibliothèque est une vitrine renvoyant à la population l’image d’un territoire démocratique, éclairé et contemporain, d’où l’importance d’un architecte côté. Elle valorise aussi bien l’élu que les bénéficiaires en renforçant le sentiment d’identification à un lieu précis, à un vécu commun.

On se répète, mais des établissements comme Le Rize de Villeurbanne ou les Idea Stores londoniens, tous implantés dans des quartiers populaires, mettent les populations au cœur de leur politique documentaire et d’activités afin de renforcer accès au savoir et le lien social. Ils participent à un changement de mentalité, d’imaginaires, notamment chez les jeunes, en proposant une ouverture sur le monde, un autre rapport au savoir, voire au livre.
Implanter une bibliothèque est tout autant une opération d’urbanisme, d’aménagement du territoire : en tant qu’équipement culturel, elle peut aussi bien préfigurer la réactivation d’une zone marginalisée que développer un territoire très peuplé ou attractif.

“Le bibliothécaire est un atout du web”

Organes du service public, les bibliothèques ont à cœur de garder une utilité sociale en proposant un vaste pan du savoir universel. Elles s’attachent à constituer, conserver, actualiser et rendre disponible des collections de documents variés à des publics variés. Elles veillent à répondre aux besoins des citoyens en information, culture, loisir, formation, travail de recherche… et même de sociabilité et de farniente.

La fréquentation de bibliothèques, de la presse spécialisée (telle le BBF, Bibliothèques ou les publications de la Fédération internationale des associations de bibliothécaires et d’institutions) ou encore de blogs de pros comme celui de Silvère Mercier, Bibliobsession ou le Nombril de Belle Beille, d’Olivier Tacheau nous fait comprendre que dès aujourd’hui et plus encore demain, les bibliothèques et leurs bibliothécaires ont un rôle essentiel à jouer dans la vie de l’espace public et le traitement de l’information, au même titre que le journaliste, l’élu ou le chercheur.

Les bibliothèques sont sur le point d’opérer le passage de structures de prêt à agences de service de contenus. Nouveauté ? Le bibliothécaire visionnaire Eugène Morel disait déjà en 1909 que les bibliothèques ne ser(aie)nt plus des monuments mais des agences…

L’une des plus belles perspective réside ainsi dans le fait de constituer des collections hybrides, composées de documents numériques et papier. On se force à penser le contraire, mais les deux font bon ménage. Plus encore, le binarisme “flux des réseaux numériques” versus “stock des supports papier” ne convainc que les geeks les plus bornés. C’est justement la définition basique de la politique de contenus que de garder une trace, une mémoire de tout document pour les générations présentes et futures.

Au bibliothécaire donc de stocker aussi les informations les plus pertinentes issues du numérique et de faire circuler tout autant les documents papier en réserve. Belle carte à jouer : le bibliothécaire a un atout sur le web car si celui-ci ne propose qu’un chaos d’informations, le premier rassemble certaines d’entre elles pour constituer du sens, de la connaissance. Un ensemble hétéroclite d’informations fragmentaires ne fait un savoir.

Le bibliothécaire sélectionne l’information la plus exacte, la plus représentative d’une situation, d’une époque et la contextualise dans un ensemble de documents aux supports variés, la collection. Comme le dit bien Gilles Eboli [PDF] de la Bibliothèque de Marseille à vocation régionale, le bibliothécaire crée du sens en sélectionnant des flux rss, en proposant des agrégateurs de flux, des bases de données, en proposant des webographies et des services de signets sociaux, tels les Guichets du savoir de la BM de Lyon, au même titre que des livres, revues papier, estampes, photographies, supports audio-visuels… Les plus développeurs des bibliothécaires se lancent déjà dans l’archivage du web, notamment au sein de l’International Internet Preservation Consortium [EN], ou l’Internet Memory Foundation [EN]. Joli service rendu à la communauté, non ?

Wikipedia et le data-journalisme pour construire l’espace

Autre carte à jouer : impliquer l’usager dans la chaîne du traitement de l’information et de la co-production de savoir. Loin d’être des concurrents prédateurs, Wikipedia et le data-journalisme participent de la même construction de l’espace public. Aux bibliothèques de mieux s’y positionner, par exemple en donnant la possibilités aux usagers de co-réaliser des fiches signalétiques, des commentaires sur les notices bibliographiques, de participer au classement des ouvrages les plus empruntés (facing, tables de présentation des coups de coeur…). Aux bibliothèques également d’animer des communautés d’e-lecteurs, d’être présentes sur des bureaux virtuels et autres wikis.

Enfin, troisième carte à jouer – probablement celle maîtresse : la médiation entre des collections et des publics spécifiques. En cela, le bibliothécaire rejoint l’anthropologue ou un DJ dans leur position de passeur. Derrière la portée presque romantique du propos, des actions concrètes : connaître suffisamment les publics de sa bibliothèque pour leur proposer des projets et des évènements adaptés (expos, rencontres avec des auteurs, conférences), savoir doser et valoriser les documents numériques, les livres, les revues, disques, DVDs, offres de formation… Ne pas hésiter à agrandir les salles des périodiques et d’accès à internet, de réduire les rayons livres, tout en mettant en place des actions de valorisation de ces derniers. Ce qui implique d’acquérir des compétences en animation culturelle.

Il y a lieu d’être optimiste : bien des médiathèques des grandes villes françaises proposent déjà tous ces services. On y trouve aussi, comme dans les B.U de Barcelone, de plus en plus d’espaces garnis de poufs moelleux et de cafés. Choquant ? Non, c’est accepter que les collections sont aussi un lieu de sociabilité, la place publique où il est même possible de ne rien faire, et gratuitement. Se sentir chez soi à la bibliothèque, une living room library… Cette dernière notion implique aussi de s’adapter aux temps de vie des citadins. Pourquoi ne pas ouvrir les bibliothèques davantage le soir pour les salariés et le dimanche, pour les familles ?

En ces temps de constante réduction des libertés dans les espaces communs et de brouillage de l’espace public, les bibliothèques ont un rôle éminemment politique à y jouer. Quant au métier de bibliothécaire, c’est un hybride actuel tirant déjà vers demain : un peu archiviste, documentaliste, informaticien, journaliste/veilleur, animateur/médiateur et conseiller des élus, il correspond bien mal au cliché de l’intello planquée et timorée. Pour lui comme pour les autres, les temps sont troubles, mais il a compris que des places sont à prendre dans le train de la démocratie, dans toutes les classes.

> Article publié initialement sur Microtokyo sous le titre Les bibliothèques sont-elles tendances dans le futur ?

> Illustrations Flickr CC Osbern, Dalbera et Dottavi

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France-Tunisie: Un roman d’amitiés http://owni.fr/2011/03/03/visu-france-tunisie-un-roman-damities/ http://owni.fr/2011/03/03/visu-france-tunisie-un-roman-damities/#comments Thu, 03 Mar 2011 18:18:56 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=44170

Précision: Cet article a été initialement publié le 27 janvier. Après un mois d’enquête, retour sur l’un des aspects du dossier: les liens entre Orange et le régime du dictateur déchu. Cette visualisation n’a toujours pas vocation à être exhaustive. Elle ne regroupe que les éléments ayant pu être vérifiés.

Aziz Krichen, sociologue tunisien opposé au régime benaliste, décrit sans ambiguïté les rapports franco-tunisiens. En pointant du doigt la corruption généralisée, il insiste sur la difficulté d’une réforme complète du système.

Comment résumeriez-vous les rapports franco-tunisiens?

Il y a quelque chose de très simple et de paradoxalement très compliqué à comprendre avec la Tunisie: il n’y a jamais eu autre chose qu’une relation néocoloniale, donc inégale, entre les deux pays. Celle-ci a été directe jusqu’à la fin des années 60, puis indirecte depuis. Elle a perduré de façon bilatérale en s’insérant dans un système. La preuve de cette situation, c’est la foutaise habituelle sur le libre-échange: la frontière est très ouverte pour les services et les biens manufacturés, mais la sous-traitance est parcellaire, comme en témoigne la délocalisation des standards d’appel de certains entreprises.

Comment cette situation se traduisait-elle dans les faits?

La régime mafieux de Ben Ali, c’est une minorité qui s’enrichit et bride toute possibilité de développement réel du pays. Il y a un droit de péage pour la délocalisation. Certains avancent un taux allant jusqu’à 50% des profits, mais je pense qu’il est légèrement surévalué. A ce niveau-là, les entreprises ne seraient pas venues s’implanter, ou seraient reparties. Il y a à ce sujet une anecdote révélatrice de la corruption du système: quand une entreprise française voulait s’installer en Tunisie, elle devait payer un bakchich. Avec le temps, ceci a aussi fini par s’appliquer aux entrepreneurs tunisiens.

La situation peut-elle changer?

Il faut bien noter que le Premier ministre, Mohamed Ghannouchi, ainsi que les ministères de souveraineté, ont été maintenus. On a assisté à des phénomènes de soviets, avec des réunions d’employés qui décident de renvoyer leur patron, mais les administrateurs risquent d’échapper à cette purge. Le RCD (le parti de Ben Ali) est encore puissant, et il y a encore beaucoup, beaucoup de chemin à parcourir.

Cliquer sur la visualisation pour voir la version plein écran

Ramifications politiques

Hosni Djemmali

“Ambassadeur bis”, “vitrine présentable du régime”, le P-DG de Sangho, sorte de Club Med tunisien, concentre autour de lui une bonne portion du landerneau politico-médiatique français. Editeur de Tunisie Plus (par le biais des Editions du Sangho, CQFD), un petit fascicule  trimestriel de 52 pages digne d’un office du tourisme, il y fait contribuer cadres de la presse française et amis politiques. Réputé “très proche” de la famille Debré (Jean-Louis était invité aux 25 ans des EFT, voir ci-dessous), promu Chevalier de l’Ordre national de la Légion d’honneur en 2008 par le secrétaire d’Etat au tourisme Hervé Novelli, Djemmali est considéré comme la pierre angulaire de la “Tunisie française”, comme la nomme un intellectuel dissident qui prépare son retour au pays.

Georges Fenech

L’ancien député du Rhône, président de la Miviludes (la Mission interministérielle de lutte contre les violences sectaires) est l’homme-clé du réseau Djemmali en France. Président de l’association des Echanges Franco-Tunisiens (EFT), ce magistrat de formation a longtemps siégé à au groupe d’amitié franco-tunisien de l’Assemblée Nationale, dont il a été l’un des vice-présidents. Pour se convaincre de l’importance des EFT dans la promotion de feu le régime Ben Ali, il suffit de regarder la liste des personnes conviées au somptuaire dîner organisé il y a quelques jours pour les 25 ans de l’association, ou celle des 30 ans de Sangho en 2008. On y retrouve pêle-mêle Marie-Odile Amaury, présidente du groupe éponyme (propriétaire de L’Equipe, Le Parisien-Aujourd’hui en France, et organisateur du Tour de France), Etienne Mougeotte (directeur de la rédaction du Figaro), Frédéric Mitterrand (ministre de la Culture, dont le rôle est détaillé plus amplement ci-après), Christine Boutin (ex-ministre du Logement), Hervé Novelli (alors Secrétaire d’Etat au tourisme) ou Christine Goguet (cadre au Parisien, et femme de Georges Fenech).

Groupe d’amitié franco-tunisienne de l’Assemblée nationale

Présidé par le député UMP de la Loire Dino Cinieri, ce groupe rassemble 95 parlementaires, aux obédiences politiques hétéroclites. On y retrouve quelques ténors de droite comme de gauche (Christian Blanc, Dominique Perben, Christian Jacob, Michel Vauzelle ou Claude Bartolone, qui est né à Tunis), quelques porte-flingues de la majorité (Eric Raoult, Lionnel Luca, Olivier Dassault) mais aussi une poignée d’électrons libres (le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan, le technophile Lionel Tardy, l’archéo-communiste André Gérin). Un temps dirigé par Philippe Seguin, le groupe a également vu passer d’illustres noms au destin national pendant les années 90: Christian Estrosi, Anne-Marie Idrac, Maurice Leroy ou Pierre Lellouche, pour ne citer que ceux-là.

Quid de son rôle? Dans la foulée de la révolution tunisienne, Cinieri a tenu à calmer le jeu en publiant un communiqué de presse lapidaire: “La voix du peuple tunisien s’est exprimée clairement et fortement [...] Le député Dino Cinieri espère par-dessus tout que la Tunisie, pays d’avenir avec lequel la France entretient des relations fraternelles, ne sombrera pas dans une situation de crise insurmontable et que de ce mouvement populaire naîtra le meilleur ainsi qu’un authentique et légitime état de droit.” Pourtant, il semblerait que la duperie ait ses limites. Un temps président du même groupe, l’UMP Etienne Pinte offre une lecture sensiblement différente: “Je suis intervenu maintes fois en faveur de la libération de tel ou tel opposant ou pour demander un plus grand respect des droits de l’homme. Je me suis toujours heurté à un mur de silence qui m’a conduit à renoncer à assurer cette présidence”.

Groupe d’amitié France-Tunisie du Sénat

La chambre haute dispose également de son groupe d’amitié. Présidé par Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret proche de Martine Aubry, il compte lui aussi dans ses rangs quelques noms ronflants, parmi lesquels Jean-Pierre Chevènement, Isabelle Debré ou l’inévitable Charles Pasqua. Professeur de lettres dans un lycée de Carthage pendant les années 70, Jean-Pierre Sueur est l’un des rares à avoir ouvertement critiqué la répression des manifestations contre le régime benaliste, sans pour autant se désengager complètement. Interrogé par Libération, il a tenu ce discours : “Aux amis, on doit la vérité, et la vérité c’est que nous ne pouvons pas accepter cette répression sanglante, violente qui se traduit par les morts.”

Michèle Alliot-Marie

Si une personnalité politique française devait sortir de la crise tunisienne avec un déficit de crédibilité, ce serait elle. Alors que la nouvelle ministre des Affaires étrangères doit encore se justifier de ses déclarations malheureuses (dans l’hémicycle du Palais-Bourbon, elle avait proposé de mettre le savoir-faire français à disposition des autorités tunisiennes pour “régler les situations sécuritaires”), alors que certains réclament encore sa démission, le Canard Enchaîné continue de voumloir accrocher une nouvelle casserole à son véhicule de fonction: dans son édition du 26 janvier, l’hebdomadaire satirique confirme que la ministre a pris des vacances en Tunisie au mois d’août. Jusque-là, rien de répréhensible, en témoignent les milliers de Français qui vont bronzer à Djerba ou Hammamet chaque année. Plus gênant, elle aurait bénéficié de “gardes du corps prêtés par le président Ben Ali”.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Pierre Lellouche

Un temps membre du groupe d’amitié franco-tunisien de l’Assemblée nationale (voir ci-dessus), le secrétaire d’Etat chargé du commerce extérieur, né à Tunis, continue de jouer les VRP de luxe en militant farouchement pour l’implantation des entreprises françaises de l’autre côté de la Méditerrannée. Sur Europe 1, il a exhorté les entreprises françaises à “rester en Tunisie”. “On fabrique même des éléments d’Airbus en Tunisie”, a-t-il ajouté. Impossible en tout cas de lui retirer sa constance. Il y a quelques années, il déclarait sans sourciller que la Tunisie de Ben Ali était “un modèle pour le monde arabe”.

Jean-Pierre Raffarin

Lorsqu’il était premier Ministre, entre 2002 et 2005, Jean-Pierre Raffarin a lui aussi apporté son soutien à un régime pourtant corrompu depuis de longues années. En 2005, au terme d’une entrevue avec Zine el-Abidine Ben Ali, il confirmait “le soutien de la France à la politique de développement et la modernisation de la Tunisie”. Epaulé par sa plume Hakim El Karoui (devenu depuis essayiste et banquier d’affaires chez Rotschild), décoré des insignes de grand cordon de l’ordre de la République par Ben Ali en personne, Raffarin s’était bien gardé d’évoquer la question des droits de l’homme ou de la liberté d’expression, concentrant le tir sur les problématiques économiques: “Nous sommes engagés dans une coopération bilatérale forte. Nous sommes le premier partenaire de la Tunisie et nous souhaitons le rester.” Si la position du Premier ministre l’obligeait à respecter le protocole, on ne saurait occulter la déclaration de Lionel Jospin à ce sujet.

Eric Raoult

Habitué des saillies médiatiques, le député-maire du Raincy, en Seine Saint-Denis, s’est souvent fait l’avocat de la Tunisie de Ben Ali. Lui aussi membre du groupe d’amitié franco-tunisien à l’Assemblée nationale, il avait co-signé en 2005 une tribune avec Pierre Lellouche et trois autres députés pour dénoncer des critiques “injustes et inamicales” à l’encontre de Tunis, en concluant sur cette tonalité: “La Tunisie a des amis, Ben Ali n’est pas notre ennemi”. En 2009, il se réjouissait de la réélection du président, sans s’alarmer de la dimension quasi-soviétique du plébiscite. “C’est un pays stable”, relevait-il alors.

Dominique Strauss-Kahn

Décoré grand officier de l’ordre de la République par Ben Ali en novembre 2008 “pour ses qualités intellectuelles”, le président du FMI essaie depuis quelques jours de réviser sa position sur le régime tunisien. Pourtant, sur cette vidéo extraite d’un journal télévisé du 18 novembre, on peut voir DSK donner l’accolade au dictateur déchu pendant qu’il reçoit une sculpture 24 carats, déclarer que “l’économie tunisienne va bien, malgré la crise”, et louer une “politique économique saine, un modèle à suivre pour les pays émergents”. Effet Streisand: plus l’entourage de Strauss-Kahn essaie d’étouffer cette déclaration, les internautes se ruent sur YouTube pour la consulter (au 27 janvier, elle comptait déjà 230.000 vues)

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Bertrand Delanoë

Originaire de Bizerte, dans le nord de la Tunisie, le maire de Paris est probablement celui qui entretient les rapports les plus affectifs et les plus complexes avec le pays. Accusé d’être un “valet du pouvoir” parce qu’il cotoyait les gens du palais, il a tenu à rappeler qu’il avait été attaqué sur son homosexualité (une caricature l’avait grimé en femme), et que Ben Ali avait refusé de le rencontrer en 2004, parce que Delanoë tenait à s’entretenir avec deux opposants, Mohamed Charfi et Mokhtar Trifi. Dans Marianne, il tient à clarifier sa position: “Les opposants à Ben Ali m’ont toujours dit qu’ils préféraient que je garde ce contact (continuer à voir certains ministres, ndlr) [...] Il m’est arrivé de passer des soirées avec des membres du RCD et des opposants. Je peux vous dire que les propos les plus durs sur Ben Ali n’émanaient pas toujours de ses opposants. Oui j’ai été au milieu de tout cela. Même si j’essaie d’avoir le moins d’activité politique possible quand je suis en Tunisie.”

Frédéric Mitterrand

“Ministre tunisien de Sarkozy en Tunisie” pour le site d’opposition Tunisia Watch, le ministre de la Culture est un ami de longue date, à qui Ben Ali a même accordé la nationalité tunisienne. Comme le relève Marianne, il a depuis longtemps déclaré son amour au pays du Maghreb, et le faisait notamment avec beaucoup de lyrisme dans son livre La Mauvaise Vie, en 2007: “L’âme secrète à la fois méditative et joyeuse ne s’est pas évaporée avec le progrès comme dans tant d’autres pays où la frustration, l’intolérance et la violence ont accompagné des tentatives de modernisation traumatisantes et brutales.” Plus récemment, Mitterrand s’est encore distingué. “Dire que la Tunisie est une dictature univoque comme on le fait si souvent me semble tout à fait exagéré”, déclarait-il le 10 janvier sur le plateau de DImanche+.

Des liens économiques?

Comme l’indique l’Ambassade de France en Tunisie, entre 2006 et 2007, “les échanges bilatéraux ont effectué un bond très important, pour atteindre 7 milliards d’euros”. Au total, pas moins de 1.250 entreprises seraient recensées à la chambre de commerce extérieur, pour un total de 110.000 employés. Et c’est sans compter sur l’essor des “flux off-shore”, “développés dans le cadre d’opérations de sous-traitance”.

Orange

Comme le révèle Le Canard Enchaîné du 26 janvier, l’entreprise française a dépensé pas moins de 130 millions d’euros pour obtenir une licence d’exploitation en Tunisie, et a placé à sa tête Marouane Mabrouk, ex-gendre de Ben Ali (celui-ci détient 51% des parts, ainsi que les franchises de Géant et Monoprix). Pour l’heure, Orange l’a fait savoir par l’entremise de son P-DG Stéphane Richard, il n’y aura pas de changement: implanté sur le territoire depuis mai 2010, l’opérateur reste aux mains de Mabrouk, avec qui il reste “en contact régulier”. La ligne de défense pourrait donc se résumer ainsi: la manne financière a fini dans la poche de l’Etat tunisien, pas dans celle du clan Ben Ali. Pourtant, interrogé par le Canard, un cadre de l’entreprise le reconnaît: “Pas sûr que le Trésor tunisien ait encaissé intégralement cet argent.” Ses avoirs en Suisse ont récemment été gelés par les autorités hélvètes.

Peugeot

Administré par la Société tunisienne automobile financière immobilière et maritime (STAFIM), le constructeur français a revendu deux tiers de ses parts à l’été dernier. Sans le savoir officiellement (“Ah bon, il est apparenté à cette famille?”, se justifie-t-on au siège de la marque de Montbéliard), Peugeot Tunisie est ainsi présidé par Mehdi Ben Gaied, un jeune homme de 23 ans… fiancé à une des filles de Ben Ali, dont les avoirs suisses ont également été gelés.

Carrefour

Avec 44 supermarchés répartis sur l’ensemble du territoire tunisien, le numéro un européen de la grande distribution est solidement implanté de l’autre côté de la Mediterrannée. Exploité en franchise par Ulysse Trading & Industrial Companies, il est dirigé depuis l’été 2010 par Nabil Chaïbi, fils de Taoufik Chaïbi. Oncle de Slim Chiboub, l’un des gendres de Ben Ali, celui-ci vient lui aussi de voir ses avoirs gelés en Suisse.

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Infographie CC Elsa Secco

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Nouveaux médias: une nouvelle classe de dominants http://owni.fr/2010/09/05/nouveaux-medias-une-nouvelle-classe-de-dominants/ http://owni.fr/2010/09/05/nouveaux-medias-une-nouvelle-classe-de-dominants/#comments Sun, 05 Sep 2010 12:23:28 +0000 Cyrille Frank http://owni.fr/?p=27039 LE PEUPLE AU POUVOIR ?

Avec les nouvelles technologies de l’information se répand l’idéologie du peuple au pouvoir : simplification des techniques, baisse des coûts d’entrée… Les nouveaux produits démocratisent la culture et permettent à tous de s’élever socialement, de “reprendre la main”.

C’est un peu l’idée inhérente à l’UGC (User Generated Content). Nous serions passés de l’ère du consommateur passif à celui de l’internaute actif et créateur. Les technologies “libèrent la créativité”, comme quelques publicités et autre best-sellers nous l’assurent.

D’autres plate-formes libèrent la création du plus grand nombre grâce au financement mutualisé de type My major company

De même le consommateur, désormais acteur (“consom’acteurs” disent les marketeux jamais en mal de néologismes fumeux), prend sa revanche sur les marques. Il décide désormais de manière beaucoup plus rationnelle en se fondant sur la recommandation de ses proches (pdf rapport Credoc) plus que sur la publicité.

Les blogs, Twitter et les réseaux sociaux libèrent la parole, décentralisent et démocratisent la discussion, les médias traditionnels en particulier la presse, perdent leur monopole sur l’information. Celle-ci appartient désormais à tout le monde. C’est la fin de l’information descendante et l’avènement au contraire d’une collaboration avec le lecteur dans la fabrication de l’information. Jusqu’à l’irruption d’un journalisme à la demande, où la ligne éditoriale est déterminée par le lecteur lui-même.

Avec Facebook, les PME peuvent se lancer dans le grand bain du e-commerce avec facilité : il leur suffit de monter une page de fan. Plus besoin de développer des usines à gaz, monter des bases de données sur serveurs et maîtriser cinq langages informatiques. Démarches totalement inaccessibles qui les rendaient totalement dépendants de web-agencies plus ou moins sérieuses ou honnêtes.

Le savoir n’a jamais été aussi libre d’accès grâce notamment à Wikipedia, qui malgré ses erreurs, reste un source encyclopédique assez fiable (ou plutôt pas moins mauvaise que d’autres). Les grandes universités fournissent désormais gratuitement en ligne leurs cours en vidéo à l’instar de quelques prestigieuses grandes écoles, telle Yale

Une pléthore de bases documentaires sont en libre accès comme je le décris dans mon billet “nouveaux medias : trop de mémoire ou pas assez ?

L’ARGUMENTAIRE DES VENDEURS DE PELLES

Nouveaux médias : le nouvel eldorado

Dans la ruée vers l’or américaine de la fin du XIXe, sauf exceptions, les seuls qui firent fortune  sont ceux qui vendaient les pelles et les pioches.

Aujourd’hui, face à l’eldorado du web, les “vendeurs de pelles” sont les agences marketing, les consultants, les web-agencies, les fabricants de matériel informatique… tous ceux qui ont intérêt à générer le plus d’investissement dans le secteur, à faire venir un maximum de prospecteurs.

Il s’ensuit un bouillonnement d’activité, d’innovations, d’émulation qui n’est pas que négative, bien au contraire, quand elle n’est pas exagérément risquée

Mais le discours pro-web 2.0 sous-estime bien souvent les risques pour les entreprises. “Entrez dans la discussion, jouez le jeu de la transparence”… Oui, sauf quand les moyens de gestion communautaire ne sont pas là, sauf quand la manière de procéder n’apporte aucune valeur utilisateur. Ouvrir une page de fan Facebook alimentée d’un flux d’infos corporate, c’est comme les “sites vitrines” des années 2000 : cela ne sert à rien si ce n’est enrichir un peu l’agence qui aura vendu le projet (“vous ne pouvez pas vous permettre de ne pas en être”).

En revanche, ouvrir ses produits aux commentaires sans community manager digne de ce nom (et pas un stagiaire qui en sait à peine plus que vous), c’est dangereux. C’est comme appeler des gens au téléphone, sans jamais parler : ça agace.

UN DISCOURS MÉRITOCRATIQUE CULPABILISANT

Avec la simplification des outils, la démocratisation et la gratuité des savoirs disponibles, la baisse des coûts d’entrée… tout semble tellement plus facile que si l’on n’y arrive pas, c’est qu’on ne le veut pas vraiment. C’est cette mythologie de la méritocratie que la sociologue Marie Dullut-Berat décrit pour le domaine scolaire.

Ce discours du “tout est possible” est celui du libéralisme économique et de la droite traditionnelle. Libérez les entraves qui pèsent sur les individus et la société dans son ensemble y gagnera. En plus d’être efficace, ce système est juste car il repose sur le mérite puisqu’il favorise l’accession des plus dynamiques, ceux qui ont la volonté de s’en sortir, ceux qui ont fait l’effort, ceux qui ont pris des risques…

Sauf que cette vision utopiste minore tous les facteurs indirects et néanmoins puissants d’inégalité, tels que le niveau culturel, le capital culturel, les valeurs d’ambition, de confiance du milieu d’origine etc.

On retrouve avec le web 2.0 toute cette utopie dangereuse du possible qui rejette implicitement dans le camp des fainéants ou des inaptes, tous ceux qui ne prennent pas le train de la technologie.

Je me rappelle du cri sincère de Loïc Lemeur, lors d’une réunion de blogueurs en pleine présidentielle 2007, qui, s’adressant à une jeune fille sur-diplômée expliquant sa difficulté à trouver du travail s’écria : “monte ta boîte !”.  Cela lui paraissait évident, voire facile et il ne semblait pas comprendre la réticence de ceux qui hésitent à se lancer. Sans prendre conscience que sa confiance, son assurance à lui, sont le résultat unique d’une éducation de confiance, de réussites accumulées, de rencontres motrices, de chance… sans parler des facilitateurs de parcours comme les grandes écoles (HEC en l’occurrence).

LA CONSTITUTION D’UNE NOUVELLE ÉLITE

Une nouvelle classe dominante

En réalité, les nouvelles technologies consacrent surtout l’avènement d’une nouvelle classe dominante : ceux qui les maîtrisent.

Tout comme les maires du Palais ont remplacé les monarques mérovingiens (les fameux “rois fainéants”), comme la bourgeoisie a remplacé l’aristocratie après la révolution française… Aujourd’hui se construit lentement sous nos yeux une nouvelle classe médiatico-commerciale qui prend le pas sur les héritiers d’une économie vacillante.

Jeunes journalistes 2.0,  communicants et marketeux technophiles, experts et consultants en réseaux sociaux, entrepreneurs du secteur technologique… Tous ceux qui s’adaptent à l’accélération du changement pour non seulement survivre mais  en vivre.

Ce n’est ni juste, ni injuste car l’Histoire est a-morale, contrairement à ce qu’on veut parfois nous faire croire. C’est juste une évolution logique et inéluctable qui crée des crispations du côté de ceux qui refusent ce déplacement de pouvoir car ils se sentent menacés, à juste titre d’ailleurs.

Ainsi par exemple, Erwann Gaucher qui dénonce fort justement dans son article le mépris de certains médias traditionnels vis-à-vis de nouvelles pratiques du journalisme, en l’occurrence le “personal branding”.

Les changements technologiques importants dans l’Histoire sont toujours créateurs de déséquilibres et de bouleversements politico-économiques. La maîtrise du fer a favorisé les tribus sur celles qui pratiquaient le bronze, la technique militaire collective et soudée de la phalange grecque ou de la manipule romaine ont permis la domination de ces deux civilisations, les armes à feu ont permis l’unification du Japon par les clans Nobunaga et Tokugawa, ainsi que la domination coloniale…
Lire à ce sujet l’excellent Culture et carnage.

Aujourd’hui l’arme de domination sociale principale de nos sociétés modernes est l’information. Et à ce jeu là, les classes déjà dominantes, comme toujours, sont les mieux armées. Contrairement au discours technophile utopiste, nous assistons non pas à une démocratisation du pouvoir, mais à un déplacement entre groupes déjà favorisés. Aux lions la carcasse, à la masse des chacals alentour, peut-être quelques miettes du festin.

Crédit photo Flickr: zert., zerozz1080 , Dunechaser

Billet initialement publié sur Mediaculture

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Le Monde: honni soit qui mal y reprenne http://owni.fr/2010/06/30/le-monde-honni-soit-qui-mal-y-reprenne/ http://owni.fr/2010/06/30/le-monde-honni-soit-qui-mal-y-reprenne/#comments Wed, 30 Jun 2010 10:29:20 +0000 Philippe Kieffer http://owni.fr/?p=20639

Il faut « sauver » le soldat Monde, déclarent en chœur les généreux candidats à la reprise d’un groupe et d’un quotidien au bord du dépôt de bilan… Soit (encore que), mais à quel prix ? Pour quel avenir ? Et pour quelles vraies-fausses bonnes raisons dans un paysage où la crise de la presse écrite évoque désormais ce qui fut celle de la sidérurgie ?

De tous les romans que se racontent, comme à la veillée, hommes politiques, investisseurs, journalistes et patrons de presse écrite pour croire, et tenter de faire croire, qu’il reste à celle-ci un avenir de papier, celui qui voudrait que ce radieux futur passe par le « sauvetage » du Monde, est probablement le plus médiocre. Le plus fantaisiste et le plus cher, aussi.

Grandiloquent à souhait, teinté du regret d’un prospère passé qui ne reviendra jamais, le microcosme ressasse jusqu’à l’auto-intoxication ses fantasmes favoris. Ainsi, peut-on lire et entendre un peu partout, de blogs en déclarations, d’éditos en tribunes, il en irait avec le cas du Monde de « l’avenir la démocratie » et d’une presse écrite décrétée « indispensable à son bon fonctionnement »… Raisonnement et clichés d’un autre siècle, qui furent vrais mais ne le sont plus que de moins en moins.

Quotidien engagé depuis des années, comme tant d’autres, dans ce que les nouvelles technologies ont transformé en impasse éditoriale et financière, Le Monde serait une cause nationale. Une sorte de paquebot France en perdition dans une mer d’encre. Un enjeu de « patrimoine » à conserver quel qu’en soit le prix… Émotion et gravité garanties. De gauche comme de droite. C’est beau comme de l’antique. Normal, c’est pleinement, furieusement, lugubrement… de l’antique !

Acharnement désespéré

Cet unanimisme a quelque chose de sidérant. Il interpelle dans ce qu’il révèle d’autisme crépusculaire et de cécité collective à l’égard de l’évolution des médias. Il exprime l’acharnement radical, désespéré et désespérant, des dirigeants d’un monde analogique ancien à ne pas voir que ce monde est en cours de dissolution accélérée dans la société numérique en devenir.

Il faut ne rien comprendre au sens de l’Histoire médiatique en cours, à la voie nouvelle où sont engagés Information et Journalisme (voie désormais résolument digitale), pour oser soutenir qu’il y a quelque urgence ou nécessité que ce soit, autres que clientélistes, à entretenir des donjons de papier fissurés. Il en ira, il en va déjà, de la presse écrite d’aujourd’hui comme de la sidérurgie d’hier. Partout, de « petits » journaux meurent lentement, et de « grands » journaux sont menacés de s’éteindre comme se sont éteints des hauts-fourneaux.

Il faut donc, au moins, en être réduit à nier d’anxiogènes évidences pour affirmer, alors que le système économique de la « vieille » presse (Impression, Distribution, Publicité) est entré dans une irréversible phase d’effondrement (au profit, si l’on peut dire, de sa recomposition immatérielle sur Internet), qu’il y aurait encore un avenir en kiosque pour les journaux existants. Car d’avenir, pour ces derniers, il n’y a pas -alors qu’il en est un, peut-être, pour de nouveaux titres qui se créeraient sur des bases de productions légères et rénovées.

Il n’y en a plus. Prétendre le contraire ne peut plus relever que de l’ignorance volontaire, du déni de réalité, ou de l’agitation manœuvrière sur fond de croyance vaudou en la survivance d’un pouvoir électoral inné des journaux… Ou bien des trois à la fois, comme c’est à l’évidence le cas dans le dossier de cette vente du Monde qu’un euphémisme comptable fait qualifier de « recapitalisation ».

Comme à Drouot…

À la veille de cette vente annoncée, on peut gloser tout à loisir sur les mérites ou inconvénients des « offres » (encore un bien joli mot ! ) respectives des deux trios de repreneurs en compétition. On peut bloguer des kilomètres d’analyses sur la maestria bancaire des uns, la compassion budgétaire des autres. On peut (on doit) se moquer de l’ambitieuse prophétie d’un ancien Observateur, Claude Perdriel, expert en indépendance ici épaulée dans sa démarche reprenante par l’élyséen mécénat de France Télécom, qui croit « voir » à l’horizon un Nouveau Monde qui se vendrait à 400 000 ou 500 000 exemplaires. Pas moins ! et pourquoi pas un million ?

Ce cas de figure, ignore ou néglige Claude Perdriel, n’aurait de chances de se produire que par ce qu’il faudrait bien appeler le miracle d’une vente forcée. Autrement dit, si l’abonnement au Monde était demain joint d’office à une offre de « forfait illimité » d’Orange. Sinon : non. Même pas en rêve.

On peut, on doit, railler le populisme haut-de-gamme des repreneurs d’en face où on ne compte plus les dizaines de millions d’euros gaillardement mis sur la table pour l’achat, comme d’une commode à Drouot, d’un Journal-Empire exsangue. Un quotidien d’Époque révolue, à la Société des rédacteurs duquel Pierre Bergé croit judicieux d’annoncer qu’il restituera, comme en offrande, ce hochet d’actionnaire désargenté qu’on appelle « minorité de blocage ». Hochet dont il n’est pas un seul exemple d’entreprise de presse où ce soit-disant verrou, cette artificielle ceinture de chasteté garantissant l’indépendance, ait jamais servi à quoi que ce soit d’autre que d’éterniser, dans les rédactions, d’accablantes professions de foi ou engueulades lors d’assemblées générales préfigurant l’abdication. Si l’inverse avait été vrai Le Monde n’en serait pas là où il est, et Libération serait encore la propriété de ceux qui le font chaque jour. Avec des si…

Fièvre et démence acheteuses

Mais, au-delà des contorsions séductrices de candidats, on doit s’interroger sur l’intrigante en même temps qu’inutile fringale de ces hommes pour Le Monde. Pour cet objet d’un désir aussi obscurément coûteux que sans espérance imprimée rentable. Estimé il y a encore quelques semaines à 50 ou 60 millions d’euros, le prix de cette affaire (il n’y a pas d’autre mot ! ) atteint ces derniers jours le provisoire et faramineux montant de 130 à 150 millions d’euros. Peut-être plus… C’est sans doute faire injure à l’intelligence supposée des repreneurs, mais c’est aussi un fait qu’il est temps de rappeler : il est des formes de démence commerciale, de fièvre et de furie acheteuses moins onéreuses.

Mais la surdité, choisie, est ici de règle. Bardés des certitudes de qui ne voit pas plus loin que le bout de son chéquier, ces généreux « recapitaliseurs » en sont à se dire que, même s’il est cher, ce jeu de dupes en vaut après tout la chandelle puisqu’ils achèteront là bien plus qu’un simple titre de presse. Ils prendront le contrôle d’une « Marque » ! D’un Logo-Héros de l’histoire de la Presse… Le tout sans considérer une seule seconde deux ou trois choses qui pourraient, ou devraient, au moins, les inciter à la prudence.

  • La première est que cette « marque » de presse, comme toutes les autres, est condamnée à se déprécier par la chute amorcée de son fonds de commerce « papier », et par les interminables conflits sociaux et autres « restructurations » qui accompagneront ce déclin. Dans l’histoire récente, s’il en fallait un, Libération se pose en amer exemple de ce simplisme hallucinogène : là où Édouard de Rothschild crut, lui aussi, avoir fait l’acquisition d’une « marque » prometteuse, cinq ans et quelques dizaines de millions d’euros plus tard le « retour sur investissement » se fait cruellement attendre…
  • La deuxième c’est qu’un prix aussi élevé pour empocher Le Monde n’aurait de sens que s’il avait pour fonction, en lieu et place de combler des trous, rembourser des banques, payer les factures d’une inévitable « clause de cession », que de servir à inverser la pyramide sur laquelle repose aujourd’hui (avec sa base de papier et son sommet numérique) la valeur de cette marque. En clair, s’il s’agissait de mettre au plus vite un terme aux coûts exorbitants de production d’un journal « papier » (qui ne peut plus générer que des pertes) pour donner toutes les chances à cette marque d’avoir une seconde vie numérique rentable sur Internet. Pour être plus précis encore, la seule et unique partie du groupe à vendre qui peut justifier effort et coup d’audace financiers, c’est LeMonde.fr. Le reste est bien mauvaise littérature.
  • La troisième chose, c’est que, compte tenu de la nouvelle donne technologique, et avec beaucoup moins que 130 millions d’euros, il serait aujourd’hui possible, en partant de rien, de créer sur Internet un nouveau groupe d’information de qualité (avec radio, télévision, et même, un jour, qui sait, un nouveau quotidien de papier qui, n’étant pas criblé de dettes à sa naissance, aurait quelques chances de survivre en kiosque). L’actuelle montée en puissance et notoriété, malgré des moyens très modestes, de nouveaux venus sur le terrain d’une information de qualité (Mediapart, Rue89, Slate.fr, pour ne citer qu’eux…) devrait donner à réfléchir aux candidats. Mais, c’est vrai, pourquoi réfléchir, faire sobre et novateur quand on a les immenses moyens de se précipiter, de faire bancal et passéiste ?

Un talisman d’isoloir ?

Par certains aspects (stratégie erronée, foi infantile dans le pouvoir politique du média qu’on achète cher, défaillance des mécanismes d’alerte sur les dangers encourus) le comportement et l’avidité « Mondiale » des repreneurs en présence n’est pas sans rappeler la bouffée capitalistique délirante qui conduisit, en 1991, un capitaine d’industrie apparemment sain d’esprit, Jean-Luc Lagardère, se croyant lui aussi « sauveur », à racheter pour une fortune la totalité des pertes d’une chaîne de télévision condamnée à la faillite (La Cinq). On dira, pensant évacuer le problème, que c’était il y a vingt ans, que Lagardère, somme toute, était un illuminé… Peut-être, mais ce sont ici les mêmes logiques de fatuité absolue, d’orgueilleuse inconscience ou de chevaleresque naïveté qui sont à l’œuvre.

L’acquisition du Monde, à ce tarif-là, est davantage qu’une folie passagère. C’est un non-sens durable, qui ne sauvera rien, hormis les immédiates apparences de continuité d’une entreprise qui se sait en fin de vie. Car comme tous les quotidiens nationaux de France, Le Monde serait -est déjà, virtuellement- mort sans la morphine vitaminée des aides et subventions que perfuse l’État à une presse française sous haute dépendance économique.

Acheter le groupe Monde dans son entier, en l’état, c’est délibérément acheter une affaire où, à rebours de ce que psalmodient des conseilleurs qui ne seront jamais les payeurs, il n’y a à gagner que des pertes. C’est se bercer de l’extatique illusion qu’en possédant Le Monde on « fera » le prochain président de la République. Faut-il être à ce point déconnecté des réalités du pays, et des modalités nouvelles d’information et de formation des opinions, pour croire qu’un quotidien, demain modifiera d’un iota les intentions de vote des Français…

Que le microcosme de l’Élysée, mentalement captif d’un âge d’or médiatique évanoui (en gros : l’ORTF surcontrôlé) et celui des élus (souvent ignorants de l’économie des médias) continuent à y croire, passe encore… Mais que des hommes d’affaires réputés avisés s’imaginent acheter là un fatal talisman d’isoloir, voilà qui laisse pantois. Il en est pourtant ainsi.

Foudroyés par une compulsive envie de dépenser, envoûtés par un appât du gain électoral qui ne peut qu’être inversement proportionnel au gigantisme des sommes qu’il va leur coûter, ces valeureux « investisseurs » ont la faim du Monde au ventre et la rage d’en payer la fin matérielle à prix d’or.

Billet initialement publié sur Rue89 sous le titre Pourquoi cette rage à vouloir s’offrir un Monde finissant ?

Image CC Flickr just.Luc et martin_robinson

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Sarkozy et les médias: les liaisons dangereuses http://owni.fr/2010/06/17/sarkozy-et-les-medias-les-liaisons-dangereuses/ http://owni.fr/2010/06/17/sarkozy-et-les-medias-les-liaisons-dangereuses/#comments Thu, 17 Jun 2010 09:54:07 +0000 Nicolas Obrist http://owni.fr/?p=19030 En ces temps particulièrement rugueux pour l’indépendance des médias, voici un petit retour historique sur les relations entre Nicolas Sarkozy et les journalistes.

En 25 ans, l’actuel président de la République a développé une relation très particulière avec les médias. Dans ce billet, vous trouverez un rappel de faits connus de tous, ainsi que quelques extraits d’un documentaire qui nous en apprend beaucoup sur le rapport de Sarkozy aux médias. C’est parti pour le cours d’histoire…

1985 : Neuilly Communication

En 1985, Nicolas Sarkozy, alors maire de Neuilly-sur-Seine, crée le club “Neuilly Communication“. Toujours actif aujourd’hui, ce club vise à “favoriser les rencontres entre les Présidents du monde de la communication et des médias et de mettre en commun les moyens de développer des relations dans cet univers de la communication“, selon le texte de présentation disponible sur le site de la mairie de Neuilly.

Stratégie nous raconte dans un article datant de 2005 que Sarkozy “souhaite en faire rien de moins que la Silicon Valley de la communication“. Parmi les membres de ce club “très select”, on trouve quelques grands noms : Gérald de Roquemaurel (HFP), Guy Verrecchia et Alain Sussfeld (UGC), Philippe Gaumont (FCB), l’afficheur Jean-Claude Decaux, Jean-Loup Tournier (Sacem), Christian Courtin (Clarins), Nicolas de Tavernost (M6), Jean-Loup Tournier (Sacem), Nicolas Bazire (groupe Arnault), Arnaud de Puyfontaine (Emap France) et bien d’autres…

Grâce à Challenges, on apprend queAlain de Pouzilhac est venu y présenter la chaîne France 24, et Vincent Bolloré – le fameux homme au yacht -, sa stratégie dans les médias“.

Le 19 juillet 1994, Nicolas Sarkozy est nommé ministre de la Communication. Visiblement, le concept de conflit d’intérêts est inconnu en Sarkozie.

Nicolas et Cécilia

En 2005, vous vous souvenez ? Nicolas… Cécilia… Une séparation et des retrouvailles ! Mais aussi quelques dommages collatéraux :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

En 2007, une nouvelle histoire… la suite de la précédente. Cécilia… Nicolas… Ils se sont retrouvés mais pourtant, il parait qu’elle n’a pas voté. Le JDD a l’info mais ne la sort pas. Finalement, c’est Rue89, alors tout jeune site d’info, qui nous l’apprendra.

Entre ces deux histoires, en février 2006, Elkabbach doit recruter un nouveau journaliste politique. Quoi de plus naturel alors que de demander l’avis d’un expert ? C’est donc Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur et candidat à l’élection présidentielle, que M. Elkbabach décide d’appeler pour l’aider à choisir ce journaliste, qui aura, entre autre, la tâche de suivre ces mêmes élections…

Les bourrelets du président

Retour en 2007, Paris Match publie une photo de Nicolas. Notre président a quelques bourrelets. Mais ça fait mauvais genre. Paris Match décide alors d’offrir une cure d’amincissement à Nicolas… Je ne peux m’empêcher de rappeler la justification donnée par l’hebdo à l’époque : “La position sur le bateau exagérait cette protubérance. En allégeant les ombres, la correction a été exagérée en photogravure.” Ah cette vilaine photogravure… toujours aussi mesquine !

“Sarkozy et moi”, un documentaire au vitriol

Plus intéressant encore que ces faits que l’on connait tous, ce documentaire mis en ligne sur Dailymotion en 2007, quelques semaines avant les élections, et qui se penche de manière très intelligente sur la relation entre Nicolas Sarkozy et les médias. Des pressions exercées sur une journaliste-pigiste de l’AFP aux allusions sur les origines “auvergnates” d’un journaliste d’Europe1, tout y passe, y compris un joli démantèlement de l’argumentaire sarkozyste en matière de sécurité :

Bande-annonce (avec en guest-star Christine Boutin et Loïc Le Meur)

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Sarkozy, la communication et la liberté d’expression

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Sarkozy, les journalistes et les dérapages

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Pour voir l’ensemble du documentaire, ça se passe chez daweed01.

Et plus récemment, on a eu droit à l’affaire dite “Sarkozy off“, avec la mise en examen d’un journaliste de Rue89.

Sarkozy et la presse papier

On a aussi appris il y a quelques jours – sans que cela n’émeuve qui que ce soit – que Sieur Sarkozy, président de la République française, cherche qui il va bien pouvoir nommer à la direction de l’info chez France Télévision. C’est Emmanuel Berreta, journaliste média au Point, qui nous l’a appris jeudi dernier sur Twitter : “France Télé : Sarkozy songe à Pierre Sled comme patron de l’info à la place de Chabot… Ça va tanguer !“. Que quelqu’un prévienne Frédéric Lefebvre qu’un poste de ministre de la Propagande sera bientôt à pourvoir ! Après tout, si les Chinois le font, pourquoi pas nous !

Et cerise sur le gâteau, Nicolas Sarkozy se penche aussi sur le sort du quotidien Le Monde, en passe de se faire racheter. Parmi les candidats, on trouve des gens que le président n’aime pas. Alors il a fait ce qu’il sait faire le mieux : convocation et menace.

Mais à part ça, tout va bien aujourd’hui en France.

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Billet originellement publié sur Le Temps des Médias sous le titre “Sarkozy et les médias: les liaisons dangereuses… (de 1985 à nos jours)“.

Retrouvez Nicolas Obrist sur son très bon fil Twitter.

Pour un aperçu un peu plus exhaustif des petits arrangements de Sarkozy avec les médias, vous pouvez (devez) aller consulter cet article de Jean-Marc Manach.

Crédit Photo CC Flickr : Byammar, Bnctony, Freshconservative.

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La relation entre la masse monétaire et les richesses http://owni.fr/2010/02/19/la-relation-entre-la-masse-monetaire-et-les-richesses/ http://owni.fr/2010/02/19/la-relation-entre-la-masse-monetaire-et-les-richesses/#comments Fri, 19 Feb 2010 09:54:36 +0000 zoupic http://owni.fr/?p=7555 Gardez la comparaison en tête du rêve et de la réalité. La réalité ce sont les richesses: la terre et ses ressources, le rêve c’est la masse monétaire: les billets, les chiffres de vos comptes en banque. Il faut garder un lien entre la richesse et la mesure de cette richesse. Il faut qu’il y ait une confiance que le rêve représente bien la réalité. Quand nous parlons de crises financières et de bulles, c’est qu’on a perdu le sens de la réalité, que nous sommes repartis dans le rêve, on bulle. Et puis un jour la réalité resurgit. La bulle est de la taille de notre rêve: la différence entre ce qu’est la réalité et ce que nous avons voulu voir. En général tout le monde se plaît bien dans le rêve, mais le retour à la réalité est souvent beaucoup moins drôle. Donc il est important de garder une corrélation entre le rêve et la réalité, avoir confiance.

En écoutant le Mp3 sur le revenu de vie présenté par Thierry Crouzet et rassemblant Phyrezo, Stéphane Laborde, Olivier Auber, Florence Meichel et Philipe Scoffoni, je ne peux m’empêcher de faire un billet spécial sur ce que je perçois. On attaque ici le coeur du problème, et toute personne qui voudra se lancer dans la création d’une monnaie devra avoir conscience de ce rapport fondamental qu’il y a entre la masse monétaire et les richesses, et donc du pouvoir de la création de monnaie.

La monnaie, outil de mesure

La monnaie est un outil de mesure, comme le mètre, comme le kilo, comme la brouette. Elle permet à 2 individus qui ont des richesses diverses d’étalonner et de mesurer des tomates et des carottes. On estime la valeur des tomates avec l’outil de mesure. D’un autre côté on estime la valeur des carottes avec l’outil de mesure. L’outil de mesure permet de faire la passerelle entre les deux. On convertit. C’est un étalon.

Dans le troc: j’échange 1 kilo de tomate contre 1 kilo de carotte. Avec la naissance de la monnaie, j’ai confiance dans l’étalon de mesure et dans le fait que je pourrai l’utiliser plus tard pour l’échanger contre autre chose, c’est une sorte de “bon pour”. Donc un client arrive au premier magasin et échange 1 euro contre 1 kilo de tomate. Le soir, le marchand de tomate utilise l’euro reçu pour aller acheter 1 kilo de carotte. On nous répétait en physique et en math de bien mettre les unités car on ne mélangeait pas les tomates et les carottes, il se trouve que c’est justement ce que permet la monnaie: mélanger tout, mesurer tout sur un étalon commun, une unité universelle. Pour les unités de mesure de masse ou de taille on a déjà du mal à se mettre tous d’accord, pour l’énergie on doit bien avoir 10 unités différentes (joules, calories, newton, degrés, etc..) alors comment vous voulez que pour la valeur, chose absolument subjective, on arrive à trouver un accord universel? Il s’agit ici d’accepter que nous ayons des outils de mesures différents. Par contre lorsque nous voulons échanger, nous nous accordons à l’unisson pour trouver un système qui convienne aux deux parties. Comme si vous mettez en relation un grec et un russe, ils utiliseront sûrement l’anglais pour échanger, euh.. dialoguer pardon. Un outil de mesure que l’on puisse convertir selon les pays, les normes, les usages et les endroits. Universellement convertible.

La monnaie, outil de mesure

La monnaie, réserve de valeur

Quand nous commençons à utiliser la monnaie comme outil de mesure, et que nous pouvons l’échanger contre des biens réels, alors la monnaie devient une réserve de valeur temporelle. Entre le moment où je vends les carottes et je reçois le billet, ce billet a une équivalence de valeur des carottes ou des tomates ou autre chose. Ce n’est pas les carottes, mais ça équivaut aux carottes. Ça vaut les carottes, mais ça n ‘est pas les carottes. Cette monnaie ne marche que dans un système où tout le monde l’accepte et la reconnait comme valeur. C’est donc un accord collectif de reconnaître et de donner à la monnaie une valeur équivalente aux biens. Si un soir tous les magasins sont fermés et que vous mourrez de faim, vous serez bien emmerdés d’avoir 10€ mais aucun marchand de carottes à portée de main. Comme une énergie potentielle attend pour être transformée: le rocher en haut de la montagne n’attend qu’une pichenette pour être transformé en énergie cinétique, le billet sans marchand de carotte est une énergie latente, qui attend la pichenette pour être transformée dans le mouvement de l’échange.

Dans le troc l’échange est simultané, pas de piège de temporalité. Dans le crédit mutuel ou le SEL, il y a un décalage entre le moment où j’échange et je reçois quelque chose, la confiance repose dans l’autre. Dans la monnaie, la valeur repose dans l’accord collectif de ce système comme béquille. La monnaie est donc l’outil le plus performant, mais aussi le plus complexe.

Quelque soit le choix pour symboliser l’échange, de la complexité pour la décaler dans le temps apparaissent obligatoirement la confiance et le risque.

“je t’achète tes carottes pour un euro”

Comment avoir confiance ?

La création monétaire permet d’anticiper sur la création de richesse et de rassembler les énergies pour les redistribuer du collectif vers le collectif.

Investir, c’est mobiliser les forces pour construire quelque chose qui augmentera la richesse demain.

C’est un pari sur l’avenir. Quand l’Etat créait de la monnaie pour soutenir un projet d’autoroute, ou une bibliothèque, il augmentait la masse monétaire, pour créer une somme qu’il investissait. Cette somme était utilisée pour acheter le terrain, payer les travaux, la construction, les salaires des hommes qui construisaient ces nouveaux murs, le mobilier qui occupait le bâtiment, les installations électriques et techniques pour qu’il fusse opérationnel. A l’ouverture de la bibliothèque, la richesse globale était augmentée pour tous. Un service en plus.

L’investissement a permis à l’économie du bâtiment, de l’installation de faire fonctionner leur savoir faire et de rémunérer des salariés, de payer pour des ressources. Les salariés dépenseront leurs salaires dans l’économie ce qui augmentera les activités collectives autour des salariés ou des entreprises choisies.

C’est donc un double effet: 1) collectif, un nouveau bien commun, pour tous, en service. 2) un boost pour stimuler et faire fonctionner l’économie

Super alors, quel est le risque?

Comme d’habitude, tout est rapport entre besoin et demande. Si la bibliothèque n’est pas utilisée, alors cette richesse collective n’est pas avérée. Si je créée 10 bibliothèques alors que les besoins n’existent pas, la richesse perd sa valeur.

Concentrer l’énergie en un point qui bénéficie à tous

Quand on créée de la monnaie, on utilise le pouvoir pour concentrer l’énergie à une zone précise. Les alentours irrigués de cette zone en bénéficieront, les parties qui en sont séparées non. Créer de l’argent augmente la masse monétaire donc baisse le pouvoir monétaire de chaque individu. Créer de l’argent, c’est diluer la valeur du billet.

Il est donc capital, j’adore utiliser ce mot, que les choix d’investissements collectifs se fassent au niveau le plus local possible, en fonction des besoins locaux. Exemple: avec une communauté d’un village, nous décidons collectivement de rassembler nos énergies (ou diluer notre argent, ça revient au même) pour construire une école pour nos enfants. Nous villageois diminuons notre pouvoir d’achat (augmentation de la masse monétaire) pour concentrer notre énergie à un point précis (terrain de l’école) pour y investir: bâtiment, travaux, équipement, mobilier: du travail rémunéré, que nous redépensons dans nos commerces locaux. Une fois l’école finie: la somme des richesse a augmenté: il y a une école en plus, la masse monétaire a augmenté: nous avons produit et échangé des biens et services.

Rien ne se créée, rien ne se perd: tout se transforme. Chacun a donc consenti une part de son pouvoir monétaire, concentré en un point, pour construire un édifice qui bénéficierait à tous = en se privant tous un peu de façon très discrète, on peut libérer une somme d’argent qui peut être investie en un point précis = l’inflation est une forme d’impôt pour celui qui a le pouvoir de création monétaire.

Aujourd’hui, rien ne se créée, rien ne se perd: tout se transforme: question pour une poignée de carambar, retracez le parcours des milliards d’euros de dette créés par nos pays, et donnez moi leur position finale.

Donc le pouvoir de création monétaire permet de concentrer l’énergie du collectif en conscience pour servir le bien commun. C’est un outil fantastique s’il est manipulé par la communauté pour la communauté.

La machine économique n'est qu'un circuit de flux

A lire sur le site savoir-sans- frontières de Jean-Pierre Petit, l’économicon dont ce screenshot est tiré.

Le bien et le mal

Tout outil peut être utilisé pour faire le bien ou pour faire le mal. Prenez un marteau, tapez dans le clou et c’est génial, tapez ailleurs et c’est le drame. Prenez l’argent. Dites vous qu’il représente la richesse matérielle réelle. Prenez conscience que nous avons délégué ce pouvoir de créer de l’argent à quelques uns. Demandez vous ce que vous feriez si vous aviez reçu ce pouvoir. Bien.

L’histoire est faite pour apprendre. Nous avons collectivement commis des erreurs, apprenons de ces erreurs pour pouvoir grandir et nous développer. La tentation resurgit toujours dès que l’on a entre les mains un tel pouvoir. Que faire contre la tentation? diviser le pouvoir, le répartir, en responsabilité collective. Que chacun s’implique dans la réflexion, sa réflexion, sa vision, et la vision collective.

Devenir maîtres de notre destin collectif.

Assumons.

Osons.

Co-créons!

> Billet publié à l’origine du blog de zoupic

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L’insurrection des anarnautes ou le sursaut de la raison http://owni.fr/2009/08/17/linsurrection-des-anarsnautes-ou-le-sursaut-de-la-raison/ http://owni.fr/2009/08/17/linsurrection-des-anarsnautes-ou-le-sursaut-de-la-raison/#comments Mon, 17 Aug 2009 12:12:06 +0000 Nicolas Voisin http://owni.fr/?p=2377

Je suis un Anarchiste !

Mais qui ici sait réellement ce qu’est l’anarchisme ? Mes sens, mon essence, mon chemin de vie m’ont convaincu de la pertinence d’un anarchisme rationaliste et humaniste, écologique – voir bio-logique, ma primo-intuition adolescente – et technologique, fédéraliste et relocalisé bien que global (dans son aspiration et le périmètre de son inspiration) individualiste mais collectif (”bottom-up”, on y reviendra), syndicaliste et économique (et non socialiste, mot dont l’étymologie elle-même est un mensonge), libertaire, forcément libertaire voire en certains points libérale si l’on entend ce terme à son sens premier, mais aussi démocratique et républicain.

Oui, la “chose publique” et le “pouvoir au/du peuple” sont parties prenantes fondamentales de cette réflexion, tout comme la quête de loyauté, qui tend à promouvoir et à défendre une croissance des libertés, de l’égalité et de la fraternité – dusse-t-elle être solidarité par pragmatisme ou par défaut – c’est à dire une forme satisfaisante et jusqu’ici jamais atteinte de justice sociale (ou d’une société juste).

L’anarchisme n’est pas le refus de l’Etat, de la propriété ou de l’autorité. C’est tout au contraire une haute exigence de justice en ces points précis en particulier. Et notamment concernant l’éducation ; une éducation qui forme et accompagne des individus libres, respectueux de la liberté d’autrui, capable d’évoluer et de se renouveler, dont l’indépendance intellectuelle serait la plus grande force, pas des travailleurs résignés et des techniciens au dos courbés. La possession n’est pas la seule propriété. L’Etat, enfin, peut être un rempart contre lobbys et multinationales aveuglées par l’appât du gain, toujours plus pressant – notre présent nous le rappelant avec insistance. L’anarchisme est aussi amour de la nature, de la culture, sans être – il est nécessaire de faire tomber deux-trois idées reçues à ce stade – une forme d’intolérance. Loin, très loin s’en faut.

Ni Dieux, ni Maîtres. Plus d’Être.

C’est Prévert qui conclue à sa façon cette sentence : “plus d’être”. Et à raison. Contre les dérives du marché et celle d’un capitalisme d’inégalité croissante, contre les bureaucraties, rouge, rose, blanche ou bleu, quelque en soit les dégradés, contre un centralisme jacobain stérile et abscons, chez nous diablement excessif, quand il n’est pas tout simplement suicidaire et nauséabond. “Le pouvoir est maudit. Voilà pourquoi je suis anarchiste” clamait Louise Michel.

“Il y a d’autres ordres possibles que celui qu’impose une autorité” précise Normand Baillargeon dans une lumineuse somme de 200 pages, éditée et rééditée ces dernières années sous le titre “l’ordre moins le pouvoir, histoire et actualité de l’anarchisme” (Editions Agone, 4° édition disponible en librairie au prix de 10€ / nb: “l’ordre moins le pouvoir” est une formule que l’on doit à Léo Ferré. C’est une trop courte mais lumineuse définition de l’anarchisme).

Mais comment comprendre ceci sans admettre que le salariat est la forme la plus aboutie de l’esclavage ? Comment admettre cela sans s’avouer que l’on est victimes consentants d’une pseudo-dictature de pédants ?

L’ordre est la fille de la liberté. C’est l’atteinte aux libertés et à une forme d’égalité sociale vertueuse qui créé désordre, misère et conflits. L’ordre n’est et ne sera jamais mère de la liberté. Plus d’être… Opposez cela au “travailler plus pour gagner plus”, c’est regarder dans le blanc des yeux le consumérisme avéré de ceux qui nous gouvernent. Contre toutes nos traditions. Contre toute vision à long terme. Contre toute forme d’humanisme.

De Diogène à Internet écosystème.

“ôte-toi de mon soleil” s’écriait le sage qui nichait dans un tonneau en réponse à Alexandre le Grand qui lui proposait de lui offrir tout ce qu’il aurait pu désirer. J’ai le sentiment que nous, internautes, allons encore scander souvent cet impératif à ceux qui aspirent à réguler, encadrer, organiser, (gouverner ?) contre toute logique propre à cet écosystème qu’est le web, une toile bouillonante qui bouscule plus qu’il ne parait nos sociétés. Réseaucratie révélée ?

“Nous sommes tous des pirates” crièrent les internautes français face à la coupable Hadopi, brandissant drapeaux noirs et esprit de piraterie (une pitraterie qui renvoie à ces rebelles sans patrie qui annonçaient par leur drapeau qu’ils étaient prêt à en découdre jusqu’à la mort avec leurs ennemis) et face au déni de présomption d’innocence ou encore aux atteintes aux libertés fondamentales, chaque jour plus nombreuses.

Noam Chomsky – anarchiste contemporain et brillant esprit s’il en est – le dit à sa manière : il s’agit de “lutter contre ces nouvelles limites à la liberté, sans cesse mises à jour”. Il s’agit donc (Chomsky toujours) “d’identifier les structures coercitives, autoritaires et hiérarchiques de toutes sortes pour les examiner et mettre à l’épreuve leur légitimité”. Légitimité du pouvoir. Le mot est lancé…

Cela plaira aux internautes qui citent régulièrement Godwin (pour le “point” de son éponyme Mike), c’est en 1793, sous sa plume, que né le terme d’anarchistes (cf. Enquiry Concerning Political Justice). Plus tard, en 1922 “Umanità Nova” précise “nous voulons détruire le système qui rend possible le vol et le capitalisme”, en écho, intemporel, à Proudhom qui arrangait “la propriété c’est le vol”, sentence qu’il articulait avec ” Dieu c’est le mal”. L’excès révélateur de vérité ?

Suivant les conseils de Libertad (qui avait, cela ne s’invente pas, les deux jambes tronquées) nous mettons en pratique cet adage : “fais ta révolution toi-même”. Nous fomentons notre propre insurrection. Sans ignorer notre histoire commune. Internet est mère d’une anarchie renouvelée, endémique, hyperbolique, irrépressible.

De l’humanisation et de Bakounine.

Le Monsieur suscité part d’un postulat explicite : l’humanisation progressive de l’espèce est rendue possible par l’exercice de la raison qui découvre peu à peu les lois de la nature, fonde et rend possible la liberté, toujours plus grande (les spécialistes exigeants me pardonneront la raccourci utilitariste).

Ce qui anime Bakounine, est une idée que peu disqualifieront ici : à l’inverse du modèle dominant de démocratie représentative, l’organisation devrait se faire de bas en haut (bottom-up) par démocratie directe, les individus se fédérant librement. Des fédérations d’individus aux communes – celle de Paris fut un exemple remarquable à ce propos – des communes aux provinces, des provinces aux nations, de celles-ci aux nations-unies et à l’Europe (…) ce n’est pas les strates du millefeuille que redécoupent ceux qui mettent l’humain et son épanouissement au coeur de leur réflexion, mais un renversement de la fluence dans cet écosystème d’interdépendance et de complexité croissante : “bottom-up”, on vous dit !

Tout autre chemin tend à l’oligarchie et à la servilité, quand ce n’est pas directement à la dictature ou toute autre forme de fascisme. Ceux qui en doutent reliront leur manuels d’histoire…

De la solidarité sociale et des Hommes Libres.

Vous avez aimé la sécurité sociale, pleuré sa faillite, dénoncé son abandon ? alors battez vous pour la solidarité sociale. C’est elle et elle seule qui permet la liberté. Egalité et fraternité ne font que s’articuler à partir de celle-ci, l’une permettant l’autre, et ainsi de suite (un certain béarnais de nos contemporains n’écrit pas autre chose dans son dernier opus, soit dit en passant). “la loi naturelle au sein des espèces est avant tout une loi d’entraide et de coopération” (Kropotkine, revisitant Darwin).

Kropotkine va plus loin : “plus il y a autour de moi d’hommes libres, plus grande est ma liberté”, dit peu ou prou l’anarcho communiste et scientifique qui fut Prince à sa naissance, arrivé à l’anarchisme via les “horlogers libertaires du Jura” (lire : Ethique, œuvre inachevée parue en 1922, un an après sa mort). Thierry Crouzet – qui lui est bien vivant – rajoutera que ce monde de complexité et d’interdépendance croissante nous invite à rebattre les cartes. Ce auquel je “plussois”.

Je rajouterai à cette approche celle d’Henry David Thoreau qui théorisa mieux que nombre de ses successeurs la désobéissance civile. Lui était un pacifiste féroce. D’autres auront l’action directe plus violente ; une action directe inséparable de l’engagement anar à travers les ages. Debord, enfin, explique combien la “société du spectacle” (1967) saura tirer profit de ces penchants pour conditionner représentation et perception du réel afin de plonger dans la naphtaline les sursauts essentiels jusqu’ici tués dans l’œuf par fabrication de consentement des masses, plus systématiquement encore que par toute autre forme d’endoctrinements. L’omniprésidence actuelle en joue puissamment (propagande, persuasion, accélérations, glissements sémantiques…). Tarnac pourrait en être une fable efficace.

Elections, Pièges à Cons ?

Octave Mirbeau, comme plus tard les situationnistes (Debord toujours et “l’imagination au pouvoir”) ont un sens de la formule qui n’a rien à envier aux fabricants de slogans et autre publicitaires que tous ici reconnaîtrons aisément sans que l’on ait à jouer au “name dropping”.

Je suis embarrassé avec cette sentence de Mirbeau et me sens plus proche d’un Chomsky pointant du doigt de “vastes institutions de tyrannies privées”  qui échappent à tout système ou contrôle démocratique (Naomi Klein a beaucoup travaillé ces notions également et Obama de se confronter à ce jour au poids de ces lobbys). A ce titre, si je dénonce vivement l’élection d’un roi républicain au suffrage universel direct qui ressemble d’avantage à un championnat national quinquennal de promesses, je ne renie pas tout de l’approche de Keynes (à relire) voir – cela en étonnera plus d’un – d’Adam Smith, dont les livres d’histoires n’auront retenus que la dévastatrice influence destructrice de services publiques et de déréglementation ainsi qu’un mythe du marché “parfait” autorégulé (que je dénonce vivement) oubliant bien vite son exigence d’éthique.

Face à cela, nationaliser n’est pas la solution. Socialiser, oui. Face à cela, le renoncement politique n’est pas une option. Face aux inéquités croissantes, seul le combat se justifie. En y mettant les mots justes. En dénonçant les maux iniques. En sachant rire et réinventer ludicité et lien social. En sachant s’offusquer, se rebeller… Et raison garder.

Le nihilisme n’est pas et ne sera jamais une solution. L’humour anglais nous fournit à ce propos cette sentence : “face à toute les solutions, l’administration propose des problèmes”. Faut-il s’y résoudre ? Cette même fulgurance toute britannique ajoute également qu’Internet “propose plus de solutions qu’il n’y a de questions”. Réfléchissons-y sagement. Il y a là la trame de lendemains plus humains. Bio-logiques et technophiles, à n’en pas douter.

Nous n’irons pas pour vous mourir au front !

Soyons, à l’instar de Duchamp, des “anartistes”. Ou plus ambitieux et jusque là inédit, des “anarnautes”. L’anarchisme a toujours voulu qu’on porte le regard vers l’avenir et vers l’inconnu. Qu’attendons-nous ? L’efficacité n’est pas l’ennemie de l’équité.  Et rien plus qu’équité, loyauté et raison ne sont de nos jours mis à mal par des pouvoirs illégitimes ; ceux d’une économie financiarisée plus encore que quelque politique dévoyée que ce soit.

Le renoncement tue. A consommer, donc, avec modération… Et imagination. Tenez-le vous pour dit : l’anarnaute n’est pas de gauche, alter, ailleurs, ethonocentré, lobotomisé, caduque et encore moins docile. Il se pourrait même qu’ils soient adroit, tétu et armé. On l’a déjà vu ici, Internet est une arme. La lucha sigue…

Ce n’est pas la fin de l’histoire qui se poursuit, c’est la renaissance que l’on persécute. C’est la résistance féconde qui est à réinventer.

Nous n’irons pas pour vous mourir au front. Nous y vivons. Critiques. Constructifs. Pédagogues. Autonomes. Authentiques. Émancipés. Dignes. Et en nombre. Dans le seul culte de la justice, de la vérité et du respect humain (par opposition au culte divin). Nul n’imposera durablement l’ignorance, pas même par l’éducation ou quelque superstition que ce soit.

La science, l’histoire, la raison et l’espérance nous guident.

A l’instar de Normand Baillargeon, c’est à Chomsky que je laisserais ici le mot de la fin : “Je veux croire que les êtres humains ont un instinct de liberté, qu’ils souhaitent véritablement avoir le contrôle de leurs affaires ; qu’ils ne veulent être ni bousculés ni opprimés (…) et qu’ils aspirent à rien tant que de s’engager dans des activités qui ont du sens (…). Il s’agit essentiellement d’un espoir au nom duquel on peut penser que, si les structures sociales se transforment suffisamment, ces aspects de la nature humaine auraient la possibilité de se manifester”.

Le son des mots ne peuvent effacer les leçons des choses.

Que l’on ne s’y méprenne pas, ce que beaucoup, dont le valeureux Paul Jorion dont je suis un fidèle lecteur nomment “anarcho-capitalisme” est un leurre, issu de l’Ecole de Chicago (Lira N. Klein, la Stratégie du Choc) et qui n’a absolument rien à voir avec la remise en cause des autorités illégitimes que défend l’anarchisme. A ce propos, et puisque l’on parle idées reçues, chaos et nihilisme, Marmol insistait sur “un anarchisme sans qualificatif”, que Chomsky définie globalement comme “cette tendance, présente dans l’histoire de la pensée et de l’agir humain, qui nous incite à vouloir identifier les structures coercitives, autoritaires et hiérarchiques de toutes sortes pour les examiner et les mettre à l’épreuve de leur légitimité”. Voilà, si vous voulez m’enfermer dans une case, ce sera donc celle-ci, définie comme ci-avant… Et à ce titre peu éloignée de l’esprit de la révolution française (et donc de la déclaration des droits de l’homme) ou de celle, bien plus contemporaine, des objecteurs de croissances, avec ou sans nez rouge /-)

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La conversation se prolonge chez Thierry Crouzet
Article initalement publié sur Nuesblog

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