OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’Open Data payant s’ouvre à la gratuité des débats http://owni.fr/2012/10/22/open-data-payant-ouvre-a-la-gratuite-des-debats/ http://owni.fr/2012/10/22/open-data-payant-ouvre-a-la-gratuite-des-debats/#comments Mon, 22 Oct 2012 15:12:28 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=123606

Pris dans l’étau des contraintes budgétaires, l’État français songe à monétiser les données publiques. L’annonce de la nouvelle, dans Les Échos la semaine dernière, a fait sauter plus d’un partisan de la gratuité des données. Comme toute pampa récemment foulée par une poignée (grossissante) d’acteurs, l’Open Data est un terrain d’expérimentation trop récent pour que l’on puisse trancher de façon définitive.

La prudence est d’autant plus de mise que la gratuité relève aussi de la position de principe. Les puristes prônant son strict respect, au nom de la transparence, conformément aux 10 principes de l’Open Data. Parmi les arguments avancés de part et d’autre, certains tiennent la route, d’autres semblent plus bancals ou incertains.

Mais vous allez les lâcher, de Dieu

Olivier Schrameck, conseiller d’État et membre de la Commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique, a mis en avant l’effet stimulant auprès des (nombreuses) administrations récalcitrantes : “Si l’on veut vraiment faire avancer les choses, il faut faire sauter certains blocages. Or l’information a un prix. Si l’on veut inciter les administrations à participer au mouvement de libération des données, il faut certaines contreparties.”

Le Canadien David Eaves, conseiller auprès de plusieurs institutions pour l’ouverture des données, doute de l’efficacité de la carotte €€ :

Les administrations sont inquiètes de l’ouverture des données souvent parce qu’elles ne veulent pas que le public y accède. Dans certains cas, elles ne pensent pas que les gens comprendront les données, ou elles refusent qu’ils les analysent ou les utilisent pour évaluer sa performance, parfois elles estiment juste que ce n’est pas les oignons du public.

Très peu de gouvernements ont essayé de monétiser leurs données et les écrits académiques suggèrent fortement qu’ils n’ont jamais fait d’argent avec.

Gilles Babinet, fondateur de Captain Dash, une startup qui manipule la donnée au quotidien, avançait aussi le manque d’intérêt financier : “Aucun autre État n’a réussi jusqu’ici à vendre massivement des données. Les revenus se chiffrent en centaines d’euros.”

“C’est faux”, tranchent en cœur Claire Gallon, de LiberTIC, une association pionnière en France sur l’Open Data, et Simon Chignard, auteur de L’Open Data, comprendre l’ouverture des données publiques.

Depuis la circulaire Fillon du 27 mai 2011, la gratuité est un principe fondamental, mais un certain nombre d’établissements publics administratifs ne sont pas concernés.

55 bases de données soumises à redevance

Certains, comme l’IGN, Météo France ou l’INSEE  tirent une part de leur financement de la vente de leurs données. Ainsi, l’IGN  en obtient 16 millions d’euros, l’INSEE 9 millions. Certes cela représente une faible part de leurs budgets, respectivement 134 et 434,6 millions d’euros, mais on est loin des “centaines d’euros” de l’ancien président du Conseil National du Numérique. “Ces établissements qui ne sont pas concernées craignent une extension du périmètre”, souligne Claire Gallon, qui note au passage que les données vendues ne sont pas forcément de grandes qualité.

Dans son rapport 2011, l’IGN avait indiqué le coût de la gratuité de la donnée géographique publique, à laquelle l’établissement est désormais contraint : “les recettes tirées des ventes de licences d’accès aux données numériques passent de 37,82 M€ à 17,25 M€, soit un manque à gagner important de 20 M€. L’augmentation de la subvention de l’Etat (qui passe entre 2010 à 2011 de 79,38 M€ à 83,58 M€ (soit + 4,2 M€, + 5,2%) ne compense pas la baisse des recettes liée à l’ouverture de la politique de diffusion.” Alors que le gouvernement tire la langue pour boucler le budget, la modification du paramètre laisse augurer de joyeuses guérillas.

Courte vue et moyen terme

Interrogé par Owni sur son imprécision, Gilles Babinet a justifié : “C’est un fait avéré : l’État ne parvient pas à vendre des données. Ses agences y parviennent mieux, même si ce n’est pas la gloire. Les données géographiques (réseaux) et de météo se vendent effectivement mais à mon sens, c’est une aberration car cela limite le potentiel économique qu’elle recèlent.” En résumé, si l’information a effectivement un prix comme le mettait en avant Olivier Schrameck, il n’est pas sûr que la meilleure façon d’avoir un retour sur investissement soit de vendre directement les données. Regards citoyens, association qui milite pour la transparence en politique, notait ainsi :

Les données produites pour le bon fonctionnement des services publics et publiables en l’état n’ont aucune raison de pouvoir être soumises à redevance. Mais on peut comprendre que le formatage, le nettoyage, l’anonymisation ou la mise à jour régulière de certaines données puissent avoir un coût.

Vient ensuite la question de l’intérêt économique de ces redevances : ne vaudrait-il pas mieux stimuler gratuitement l’innovation et donc notre système économique par la mise à disposition libre des données ? [...]

Toutefois, il ne fait aucun doute qu’en ouvrant l’accès au plus grand nombre, l’État maximise le potentiel de réutilisations. Le manque à gagner viendrait plutôt du fait de restreindre les réutilisations à un petit nombre d’acteurs qui favoriserait des monopoles.

“L’Open Data a beaucoup été poussé sur le volet économique, et pas la démocratie et la transparence, poursuit Claire Gallon, mais alors que ces effets s’observent sur du moyen et du long terme.” Pour juger des retombées, il faut picorer des analyses à droite à gauche. Et de citer une étude de 2010 sur les bénéfices de l’ouverture des données officielles des adresses danoises, suite à un accord en 2002. Elle a permis de créer 48 entreprises et 90 emplois, le montant du bénéfice financier s’élève à 62 millions sur la période 2005-2009, et le bénéfice social à 14 millions en 2010.  Ou encore la Catalogne, où “l’ouverture a généré des économies de 500h mensuelles de travail et un retour sur investissement en 4 mois.”

Toutefois, pour David Eaves, les conséquences pour les entreprises ne sont pas noires ou blanches :

Si votre business est basé sur un set de données que vous payez et qu’il devient libre, alors il souffrira peut-être comme la barrière à l’entrée est abaissée. En revanche, monétiser les données nuirait aux consommateurs en élevant les coûts des services et en les rendant plus difficilement compétitifs.

Des businesses particuliers pourraient y perdre ou y gagner dans un tel scénario, mais les entreprises dans leur ensemble en bénéficieraient, car plus de données libres permettraient d’avoir plus d’opportunités d’améliorer les services, de fournir des analyses, etc.

Position intermédiaire

Simon Chignard, pour qui le “tout gratuit est impossible”, prône du coup une position intermédiaire :

Pour certaines données qui demandent une infrastructure de mise à disposition particulière, je pense notamment aux API des infos temps réel pour les transports, on peut imaginer des modèles mixtes. Gratuit pour les développeurs en dessous d’un certain nombre de requêtes, puis payant pour les plus gros utilisateurs. Après tout, c’est bien ce que Google lui-même a mis en place pour son service de cartographie. En procédant ainsi, on peut espérer faciliter l’innovation par de nouveaux entrants tout en faisant contribuer les plus gourmands …

En revanche nous a-t-il rappelé, opérer un distingo entre les usagers qui font une utilisation commerciale ou non n’est pas possible, depuis la transposition en 2005 d’une directive européenne. Elle précise que “les informations publiques, non nominatives, provenant d’organismes publics ou d’entreprises privées exploitant un service public doivent pouvoir être rendues accessibles et réutilisées à des fins commerciales ou non, d’une manière non discriminatoire et non exclusive, et à des coûts qui n’excèdent pas leur coût de production.”

On peut aussi envisager de privilégier la gratuité des données utiles pour le bon fonctionnement démocratique, mais comme le fait remarquer Gilles Babinet :“vu d’où nous partons, les limites ne sont pas prêtes d’être atteintes rapidement.” De plus, il faut être capable d’établir une hiérarchie a priori.

Complexe, soumis à un contexte économique fragile, le débat sur la gratuité (ou non) de l’Open Data en France devrait donc également ressurgir pour une raison de politique très basique : après la circulaire Fillon ayant officiellement lancé la mission d’ouverture de données publiques Etalab, l’Open Data est devenu un non-sujet au gouvernement. Comme le déplore Claire Gallon :

Il y a peu de portage politique en France, alors ça revient en force, la question est posée depuis la circulaire Fillon…


Photo par Gerard Van Der Leun [CC-byncnd]

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Deezer : en route vers la rentabilité? http://owni.fr/2011/04/20/deezer-en-route-vers-la-rentabilite/ http://owni.fr/2011/04/20/deezer-en-route-vers-la-rentabilite/#comments Wed, 20 Apr 2011 13:33:00 +0000 Pascal Rozat http://owni.fr/?p=58035 Article initialement publié sur OWNImusic.

Le 9 mars 2011, à l’occasion de la rencontre “Mobile 2.0” à Paris, le PDG de Deezer annonçait avoir atteint en seulement huit mois le seuil de 800 000 abonnés payants à son service d’écoute musicale, dépassant ainsi les pronostics les plus optimistes. À l’origine de ce bond en avant : un nouveau partenariat avec Orange, qui intègre depuis août 2010 les services payants de Deezer en option dans ses offres mobiles et ADSL. En se rapprochant d’un acteur majeur des télécommunications, le leader français de la musique en streaming aurait-il enfin trouvé le moyen de monétiser sa plateforme et de faire face aux lourdes sommes qu’il s’est engagé à verser aux ayants droit ? Si tel était le cas, cette alliance stratégique mettrait un terme à plusieurs années de tâtonnements, qui ont vu le site passer d’un modèle économique fondé sur la gratuité totale à une stratégie freemium qui a d’abord peiné à convaincre.

Un choix fondateur : la musique gratuite et légale

« Deezer.com libère enfin toutes les musiques », claironnait le communiqué de presse [pdf] du 22 août 2007 annonçant le lancement du nouveau site. Créé par deux jeunes entrepreneurs de moins de trente ans, Daniel Marhely et Jonathan Benassaya, Deezer fait partie de ces start-up qui ont d’abord tout misé sur un service gratuit particulièrement bien adapté à la demande des internautes, conquérant ainsi une large audience sans pour autant disposer d’un modèle économique clair pour la rentabiliser. Dès l’origine, la plateforme d’écoute musicale suscite pourtant l’intérêt de Xavier Niel, fondateur de Free, qui investit 250.000 euros en juin 2007 pour une part de 20% dans la jeune société. À l’occasion d’une augmentation de capital en janvier 2008, il est rejoint par le fonds Dot Corp des frères Rosenblum (fondateurs du site Pixmania), qui acquiert 24% des parts pour 4,8 millions d’euros, témoignant ainsi de la valorisation exponentielle de l’entreprise en l’espace de seulement six mois.

L’originalité de Deezer est de proposer une vaste offre musicale à la fois gratuite et légale, se posant ainsi comme une alternative novatrice au piratage. Ce choix ne s’imposa pourtant pas d’emblée : Blogmusik.net, ancêtre de Deezer lancé en juin 2006, opère d’abord sans aucune autorisation des ayants droit, ce qui lui vaut d’être fermé en avril 2007 suite à une mise en demeure adressée par les sociétés d’auteur et la SPPF. C’est alors que les deux associés décident d’entrer en négociation avec la SACEM. En seulement quelques mois, un accord est conclu, permettant au site de rouvrir sous le nom de Deezer en août 2007. Reste encore à régler la question des détenteurs de catalogues. Près de deux ans sont nécessaires à la plateforme pour convaincre les quatre majors, tout en concluant en parallèle des accords avec plusieurs labels indépendants tels que Believe ou Naïve.

Ces négociations permettent à Deezer d’élargir progressivement son catalogue, qui passe ainsi de 770.000 titres en octobre 2008 à 8 millions aujourd’hui. Avec un choix aussi vaste, Deezer peut revendiquer un accès quasi-universel à la musique, le tout en streaming gratuit. On notera toutefois la persistance de certaines lacunes, notamment dans le domaine des indépendants et de la musique classique. Plus ennuyeux : certains poids-lourds de l’industrie musicale comme les Beatles, Bob Dylan, Led Zeppelin ou Metallica manquent toujours à l’appel, de même que quelques pointures de la variété française, à l’instar de Francis Cabrel ou Jean-Jacques Goldman. Enfin, en raison des clauses de territorialité imposées par les maisons de disques, l’intégralité du catalogue de Deezer n’est pas nécessairement accessible dans tous les pays : il peut ainsi arriver que tel titre ne soit pas accessible en Belgique, tel autre uniquement au Royaume-Uni, etc.

Le mirage d’un financement par la publicité

Si ce nouveau modèle fondé sur la négociation permet à Deezer d’offrir un vaste choix de musique sans craindre de représailles judiciaires, il a aussi un coût, qui se traduit par les reversements dus aux ayants droit. Bien que les différents acteurs se montrent plutôt discrets sur la question, on sait que les majors exigent des avances conséquentes pour la seule mise à disposition de leur catalogue. Selon Le Figaro du 9 mars 2010, le montant total avoisinerait ainsi les 3 millions d’euros, le site devant ensuite payer une somme de l’ordre d’un centime pour chaque écoute d’un titre. Quant à la SACEM, l’accord signé en 2007 lui assure de capter 8% des recettes publicitaires de la plateforme. Au bout du compte, Jonathan Benassaya admettait en octobre 2009 reverser la moitié de son chiffre d’affaires (environ 6 millions d’euros annuels à l’époque) aux ayants droit. Un lourd tribut pour une entreprise aux revenus modestes, dont le modèle initial fondé sur la seule publicité n’a pas fait ses preuves.

Deezer s’affirme d’emblée comme un succès d’audience, avec 773.000 visiteurs uniques recensés en France pour son premier mois d’exploitation en août 2007, chiffre qui atteindra bientôt 2,75 millions en mai 2008, puis 7 millions en décembre 2009. Comme pour nombre de start-up, le défi est posé : comment rentabiliser ce trafic en hausse constante ?

Dès sa création, Deezer propose un système d’affiliation avec iTunes, permettant aux utilisateurs de télécharger sur la plateforme d’Apple un titre qu’ils ont écouté sur Deezer[+]. Mais les commissions versées à cette occasion par la firme à la pomme ne jouent qu’un rôle marginal. Pour monétiser son audience, Deezer compte d’abord quasi exclusivement sur la publicité, présente notamment sous forme de bandeaux. Avec un profil d’utilisateurs plutôt jeune et orienté CSP+, il est vrai que la start-up a des arguments pour convaincre les annonceurs. Mais comme dans le cas des sites de presse, cette source de revenus se révèle néanmoins très vite insuffisante, malgré d’assez bonnes performances : avec 875.000 euros de recettes sur le premier semestre 2008, l’entreprise est loin de pouvoir faire face aux reversement dus aux ayants droit, sans même parler de dégager des bénéfices.

La plateforme persiste pourtant et crée en juillet 2008 sa propre régie publicitaire, Deezer Media, avant d’adopter progressivement une stratégie plus agressive. À partir de février 2009, l’inscription devient obligatoire pour profiter pleinement du service d’écoute à la demande, ce qui permet au site de mieux rentabiliser son fichier clients en ciblant les campagnes publicitaires selon des critères de sexe, d’âge et de zone géographique (moyennant une majoration des tarifs pour l’annonceur, si l’on en croit l’article 6.1.2. des conditions générales de vente 2010 de la régie [pdf]). Un peu plus tard, au risque d’irriter les utilisateurs, la publicité sonore est introduite en novembre 2009, sous la forme de spots intercalés entre les chansons toutes les 15 minutes environ.

Mais ces innovations ne suffisent pas à rendre le site rentable et certains représentants des ayants droit commencent à s’alarmer de la faiblesse des reversements. En avril 2009, Laurent Petitgirard, alors président du Conseil d’administration de la SACEM, fait grand bruit en déclarant au Monde que le tube de l’année sur Deezer, un titre de rap écouté 240.000 fois, n’a donné lieu qu’à 147 euros de reversements aux artistes…

Le difficile tournant du freemium

C’est donc dans un contexte plutôt tendu que Deezer procède en octobre 2009 à une nouvelle levée de fonds : CM-CIC Capital privé (filiale du Crédit mutuel) et AGF Private Equity entrent au capital de l’entreprise, apportant au total 6,5 millions d’euros. Mais si ces investisseurs acceptent de se lancer dans l’aventure Deezer, c’est qu’un revirement stratégique est déjà amorcé.

Alors même que Jonathan Benassaya avait déclaré lors du lancement du site qu’il ne croyait pas au principe de la musique payante, Deezer abandonne finalement le dogme du tout-gratuit. En effet, le 9 novembre 2009, la société annonce [pdf] le lancement de ses premières offres payantes. Proposée à 4,99 euros par mois, la formule « Deezer HQ » permet d’utiliser la plateforme depuis son ordinateur sans publicité et avec une meilleure qualité d’écoute (jusqu’à 320kb/s, contre 128 kb/s pour le gratuit).

Mais la véritable innovation réside dans l’offre « Deezer Premium » qui, pour 9,99 euros par mois, propose en plus un accès en mobilité. Depuis octobre 2008 et le lancement de la première application pour iPhone et iPod Touch, Deezer est en effet déjà disponible sur la plupart des smartphones (BlackBerry, Sony Ericsson, téléphones fonctionnant sous Android…), mais avec des services limités : ces applications gratuites permettent ainsi d’utiliser les webradios et les smartradios[+] de Deezer, mais pas d’écouter les titres à la demande, ce qui constitue pourtant la marque de fabrique de la plateforme. Deezer Premium propose donc de « déverrouiller » ces applications (peut-être conçues dès le départ comme des teasers pour la future offre payante ?), en donnant pleinement accès aux services Deezer en mobilité. Autre avantage : l’abonnement permet également l’écoute des titres de son choix en mode « hors connexion », grâce à un système de téléchargement temporaire.

Comme souvent dans le monde de la musique en ligne, il s’avère pourtant bien difficile de convaincre l’utilisateur de sortir sa carte bleue. Alors que l’objectif affiché était de recruter 100.000 abonnés payants avant la fin 2009, seuls 14.000 s’étaient laissé séduire sur les trois premiers mois. Cet échec au démarrage déçoit les actionnaires et plonge Deezer dans une profonde crise de management. Le départ de Jonathan Benassaya, annoncé dans la presse, est finalement démenti, mais le cofondateur du site se trouve bientôt marginalisé suite à la nomination d’un nouveau directeur général en la personne d’Axel Dauchez. Réduit à la fonction de président non exécutif, Jonathan Benassaya quitte finalement Deezer en novembre 2010, en justifiant son départ par la volonté de se consacrer à de nouveaux projets, notamment son fonds d’investissement et incubateur Milestone Factory.

L’alliance avec Orange : une solution miracle ?

Venu du marketing et de l’audiovisuel, Axel Dauchez (qui, à 41 ans, fait figure de « sénior » au sein de la start-up) trace une feuille de route visant à renforcer le développement de Deezer sur le territoire français avant de s’attaquer dans un second temps au développement international. Cette stratégie se traduit bientôt par un rapprochement avec Orange, annoncé en juillet 2010 : à partir de la rentrée suivante, l’opérateur télécoms proposera des forfaits intégrant le service Deezer Premium en option, avec ou sans supplément à payer selon les formules.

L’intérêt des deux parties est évident. Pour Orange, cette alliance s’inscrit dans le cadre d’un revirement stratégique : après avoir investi tous azimuts dans des contenus exclusifs pour attirer de nouveaux abonnés, l’opérateur a annoncé en juin 2010 vouloir sortir de cette logique pour privilégier des « partenariats ouverts » avec les producteurs et éditeurs de contenus. Dans cette optique, il paraît naturel pour Orange d’abandonner sa propre plateforme d’écoute lancée en 2009, WorMee, au profit d’une alliance avec Deezer. Quant à ce dernier, il bénéficie désormais de la force de frappe commerciale d’Orange pour gagner enfin les abonnés qui lui font défaut. Scellant ce nouveau partenariat, Orange entre au capital de Deezer à hauteur de 11%, en échange des actifs de WorMee, valorisant Deezer à hauteur de 80 millions d’euros environ selon L’Express. Un rapprochement capitalistique qui ne manque pas de sel quand on songe que l’actionnaire historique de Deezer n’est autre que Xavier Niel, fondateur de Free, l’un des principaux concurrents d’Orange…

Très vite, les premiers résultats semblent indiquer que l’opération est gagnante. Grâce à Orange, le rythme des recrutements passe ainsi de 6 000 à 100 000 abonnés par mois. Alors que Deezer espérait en gagner un million avant la fin 2011, la barre des 500 000 était franchie dès le mois de janvier, et le million est à présent annoncé pour l’été. Prise isolément, l’offre payante de la plateforme ne semblait pas séduire les consommateurs, mais son inclusion dans un bundle (« pack » ou « offre groupée ») Orange a finalement permis de vaincre leurs réticences. Après une année 2010 encore déficitaire, Deezer est donc bien parti pour sortir du rouge, tout en augmentant sensiblement ses reversements aux ayants droit. Lors du Midem de janvier 2011, Axel Dauchez a ainsi pronostiqué que le site paierait environ 20 millions d’euros à l’industrie musicale en 2011. Une inconnue demeure : combien la plateforme touche-t-elle pour chaque abonné Orange ? Axel Dauchez se contente d’indiquer que c’est « un peu moins (…) que les 9,99 euros par mois que paient ceux qui s’abonnent directement à Deezer. »

Un début de diversification

En parallèle, Deezer s’est engagé discrètement dans une stratégie de diversification. Comme le soulignait Jonathan Benassaya dès mars 2008, Deezer n’est pas seulement un site, mais aussi « une plateforme avec beaucoup de contenus (…) que rien ne nous empêche de mettre à disposition sur d’autres canaux de diffusion ou via d’autres modèles économiques. »

Illustration de cette théorie : le lancement en avril 2010 de SoundDeezer, service B2B proposant la sonorisation de lieux publics et commerces. Fonctionnant à l’aide d’un boîtier spécifique fourni par Deezer, la « D-Box », le service permet de paramétrer la programmation à partir d’un ordinateur en alternant entre cinq ambiances musicales (« moods ») pouvant être diffusées à différents moments de la journée. Pour les entreprises d’une certaine taille, SoundDeezer propose des fonctionnalités plus avancées, telles que le déploiement sur un réseau entier de points de vente, ainsi que la réalisation de « moods » sur mesure fondés sur des techniques de marketing sonore. En s’appuyant sur les statistiques d’écoute dont dispose Deezer grâce aux utilisateurs de son site grand-public, il s’agit alors de cerner au plus près les goûts d’une cible donnée. Le service est proposé sans publicité, mais le client a néanmoins la possibilité d’intercaler les spots promotionnels de son choix au fil de la programmation. Il est également à noter qu’un abonnement au service ne dispense naturellement pas de payer des droits à la SACEM au titre de la diffusion publique d’œuvres protégées. Parmi les premiers clients de SoundDeezer : les restaurants McDonald’s, le Palais omnisport de Bercy et les magasins Micromania. Si les tarifs ne sont pas publiés, on peut toutefois déduire des déclarations d’Axel Dauchez que cette activité récente aurait déjà généré environ 2 à 3 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2010, ce qui est loin d’être négligeable pour un service tout juste lancé.

En décembre 2010, la plateforme a également ouvert un « Deezer shop » en ligne. Outre un casque audio estampillé « Deezer », on y trouve une multitude de produits dérivés (t-shirts, casquettes, mugs, stylos, tongs…) classés par artistes et aussi – plus étonnant pour une entreprise spécialisée dans la musique dématérialisée – une sélection restreinte de disques et de DVD revêtant généralement un caractère « collector » (rééditions « de luxe », coffrets intégraux, rééditions vinyles…). En se lançant ainsi dans le merchandising, Deezer semble prendre acte du mouvement de diversification des revenus qui touche l’ensemble de l’industrie musicale. La société pourrait-elle être tentée à l’avenir de se développer également dans le très lucratif secteur de la musique live, lui aussi en pleine expansion ? Si Deezer ne deviendra sans doute jamais un grand entrepreneur de spectacle, des synergies peuvent certainement être exploitées, notamment en termes de promotion d’événements.

Enfin, l’annonce le 3 mars 2011 de la prise en régie du site Slate.fr signe les nouvelles ambitions de Deezer media, qui élargit son champ d’action au-delà de Deezer pour se positionner comme un nouvel acteur dans le domaine des régies publicitaires en ligne.

Conclusion

L’année 2011 semble donc s’annoncer sous de bons auspices pour Deezer, qui devrait améliorer substantiellement ses résultats financiers et pérenniser son modèle économique grâce aux nouveaux abonnés gagnés via Orange. Le site semble avoir réussi son basculement vers le payant, au moment précis où le streaming gratuit commence à être remis en question par les maisons de disques, comme en témoignent les déclarations du PDG d’Universal Music France Pascal Nègre sur Radio Campus, suggérant de restreindre à quatre le nombre d’écoutes gratuites possibles pour un titre donné (proposition vivement contestée par Axel Dauchez dans une tribune parue dans Le Monde où il défend la gratuité comme porte d’entrée vers l’abonnement payant).

La stabilisation du business model de Deezer s’inscrit dans un contexte de forte structuration du secteur en France : outre la création d’un syndicat des Éditeurs de services de musique en ligne (ESML), qui regroupe Deezer, Orange, le GESTE (Groupement des éditeurs de services en ligne) et les plateformes de téléchargement Beezik et Starzik, le mois de janvier 2011 a été marqué par l’annonce des « 13 engagements pour la musique en ligne » conclus dans le sillage de la mission de médiation confiée à Emmanuel Hoog. Cet accord, dont le suivi a été confié à la Hadopi, promet notamment de rendre plus transparentes les relations entre producteurs et plateformes. Une évolution positive pour Deezer, qui pourrait toutefois avoir un effet pervers en facilitant l’arrivée de nouveaux entrants sur le marché, notamment si les maisons de disques étaient amenées à baisser de manière significative le montant des avances exigées.

Sur le marché français, Deezer a assurément atteint une taille critique, avec environ 7 millions de visiteurs par mois, qui le rend incontournable. Le contexte dans lequel la société évolue n’en reste pas moins fortement concurrentiel. Outre la toute récente résurrection de Jiwa – un concurrent français lancé en mars 2008 et placé en liquidation judiciaire deux ans plus tard – et l’arrivée en France de Qriocity, la plateforme de streaming de Sony, Deezer doit notamment faire face aux appétits du Suédois Spotify, qui semble vouloir se rapprocher de SFR pour contrer l’offensive menée avec Orange. Mais à n’en pas douter, c’est avant tout au plan international que la bataille se joue désormais. Traduit en cinq langues, Deezer réalisait environ deux tiers de son audience à l’étranger au printemps 2010, mais ses abonnés demeurent dans leur grande majorité français. La bataille sera rude, car outre Spotify, qui revendique 1 million d’abonnés dans sept pays, la plateforme devra sans doute aussi composer avec les nouveaux projets des mastodontes Google et Apple, qui n’entendent pas rester les bras croisés devant le développement du streaming musical. Avec l’appui d’Orange, Deezer peut espérer gagner des parts de marché dans plusieurs pays européens où l’opérateur français est bien implanté (Royaume-Uni, Espagne, Pologne…). Le grand enjeu reste toutefois la conquête de l’Amérique du Nord, restée jusque là quasi impénétrable au streaming « à la carte »[+] en raison des réticences des grandes maisons de disques. À quand, par exemple, un partenariat de Deezer avec Verizon Wireless ou AT&T Mobility, leaders de la téléphonie mobile sur ce marché ?

Article initialement publié sur INA Global.

Crédits photo PaternitéPas d'utilisation commerciale Michel Racat

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David Hyman (MOG) : “YouTube ne m’empêche pas de dormir” http://owni.fr/2011/02/28/david-hyman-mog-youtube-ne-mempeche-pas-de-dormir/ http://owni.fr/2011/02/28/david-hyman-mog-youtube-ne-mempeche-pas-de-dormir/#comments Mon, 28 Feb 2011 16:23:26 +0000 Kyle Bylin http://owni.fr/?p=30576 Kyle Bylin est à l’origine du site américain Hypebot.com, qui se fait l’écho des évolutions de l’industre de la musique. Vous pouvez le retrouver sur Twitter (@hypebot, @kbylin)

Cet article est une réponse à l’article : “Youtube : la musique gratuite rapporte autant que la musique payante

J’ai eu l’occasion d’échanger avec David Hyman, le fondateur et PDG de MOG, un service musical basé sur le “cloud”. Au cours de cet entretien, David et moi-même abordons l’impact de YouTube sur la musique et pourquoi les périodes d’essai gratuites sur les services de musique par abonnement doivent être allongées.

Ce qui suit est une version éditée de notre conversation.

Hypebot : Bonjour Dave, merci de m’accorder un peu de votre temps.

David Hyman : Bonjour !

Commençons doucement, nous passerons progressivement à d’autres sujets. Eliot Van Buskirk, du site Evolver.fm, a récemment publié un article à lire absolument. Il y disait des choses intéressantes sur YouTube. Globalement, ce service a beaucoup apporté à la musique, mais paradoxalement, il lui fait sans doute aussi du tort. Pensez-vous que YouTube, avec toute sa musique en accès libre et le fait que chacun puisse y partager ce qu’il veut, soit néfaste pour MOG ?

Je ne pense pas que nous perdions des abonnés au profit de YouTube. Cette expérience (YT) concerne plutôt les tubes. On ne peut pas y écouter une succession de chansons. Il n’y a pas de programmation passive. Pas de playlists. Pas d’albums. Le principe est plutôt : “un titre à la fois”. Avant 1985 on ne faisait pas de clips vidéo, et pourtant il y a eu beaucoup de BONNE MUSIQUE avant 1985 ! Après cette date, la video a été cantonnée à quelques chansons par album au mieux. Si vous voulez entendre les tubes, écoutez la radio ou allez sur YouTube. Je ne crois pas que nos abonnés soient ce type de consommateurs.

D’accord. L’autre point soulevé par Buskirk dans son papier concerne le fait que la plateforme pousse de nombreux développeurs à intégrer l’API de YouTube, au lieu d’essayer de monter des partenariats avec des services existants comme MOG. Le fait que l’API de YouTube soit disponible porte-t-il préjudice à MOG du point de vue de l’innovation et de l’intégration ?

Je n’ai aucun site séduisant utilisant l’API YouTube pour offrir une expérience d’écoute satisfaisante qui me vienne à l’esprit. Nommez-en un ! Vous voyez, YouTube ne nous rend pas service. Mais il ne nous fait pas vraiment de mal, voire pas du tout. Ca me fait juste un peu mal au coeur. Mais je n’en suis pas non plus à perdre le sommeil en m’inquiétant des projections de MOG par rapport à YouTube !

Et SoundHound alors ? Plutôt que de recommender des streams de 30 secondes depuis MOG, leur app envoit les gens vers Youtube.

C’est vrai. Mais Soundhound veut aussi inclure MOG ! Ce sera bientôt le cas. On peut payer à Soundhound des frais d’affiliation. Qu’est ce que Youtube paie à Soundhound ?

Bien vu. Passons ! Un des sujets qui m’interpellent le plus concerne les périodes d’essais gratuits. Pensez vous qu’elles soient trop courtes ?

Bonne question ! Je ne pense pas qu’on ait suffisamment de données pour le moment. Je dirais que Netflix se débrouille très bien pour ce qui est de proposer des prestations satisfaisantes dans le cadre d’une période d’essai de durée comparable.

Et pour les films, est-ce différent ?

Peut être ! Je crois qu’on va en arriver là. Pour fournir davantage que ce que l’on fournit déjà, cela coûterait davantage aux labels. Et quand bien même, ils restreindront toujours la quantité de contenu gratuit que l’on peut proposer. Les frais associés à la mise à disposition de contenu gratuit au delà de la période d’essai gratuit que nous proposons sont prohibitifs. Les labels exigent des taux plutôt élevés sur la base du “par titre/par stream”. La modélisation qu’on a faite nous apprend qu’on ne pourrait pas compenser les coûts par la conversion et la publicité. Est-il possible qu’on ait tort ? Oui. Les taux sont très élevés, croyez-moi. Si je pouvais donner davantage et faire fonctionner le modèle, je le ferais. Nous passons une bonne partie de notre temps chaque jour à plancher sur ce sujet.

C’est aussi comme ça que je vois les choses. Les coûts sont beaucoup trop élevés, quoi qu’on en dise.

Nous essayons de trouver des solutions pour donner gratuitement de manière restreinte et ce de mieux en mieux et avec succès ! Ma seule inquiétude, c’est qu’une fois qu’on passe de “gratuit” à “gratuit restreint”, cela devient un “essai gratuit” et donc on perd l’intérêt de la vraie gratuité. Avec les coûts auxquels on fait face, on ne peut pas fournir du vrai gratuit.

J’imagine que le “gratuit restreint” au final ce serait une fonction “radio” ou du streaming limité. Pour moi, le bon côté d’un tel arrangement est que cela donne aux amateurs de musique le temps de se construire leur bibliothèque musicale. Plus ils aiment de chansons (chacune étant stockée dans leur bibliothèque), plus il est facile pour eux de devenir “propriétaires” de ces titres et de voir la valeur qu’a le fait de payer pour y accéder.

Je suis d’accord.

De mon point de vue, le cas des films est bien différent de celui de la musique. Je dirais que les gens ne se considèrent pas propriétaires des films qu’ils regardent en streaming sur Netflix parce qu’ils ne sont pas sensés l’être. La musique, ce n’est pas comme le cinéma. C’est plus comme le canapé que vous louez. Une fois qu’il est chez vous, vous avez du mal à voir comment vous allez en faire “votre” canapé. Une fois la période d’essai passée, vous n’aurez plus envie de vous en séparer. En vrai, vous pensiez que vous l’aviez loué, mais en fait, vous l’avez dors et déjà acheté.

Bien vu. Je dirai ceci : ne prenez pas ce qui suit pour argent comptant, ce n’est qu’une question de données… On a testé deux options : barrière de péage contre accès gratuit. Demander aux gens de payer avant d’utiliser l’essai gratuit s’est révélé meilleur en termes de conversion, au même niveau que le revenu net. On a tendance à penser que les choses dépendent davantage de comment le visiteur est arrivé sur site. Dans certains cas, ce serait mieux sans paywall. Et cela dépend aussi de la plateforme utilisée : smartphone, web etc…

Je crois que vous avez raison. Là tout de suite je ne me souviens pas des études faites à ce sujet. Mais globalement, nous échouons à prendre en compte la variable “origine” dans la prise de décision. Alors, comment se séparer du fardeau de la “propriété” sans pour autant enlever les avantages cognitifs ?

Les gens doivent pouvoir accéder à la musique de partout : depuis leur voiture, leur télé, leur téléphone, et leur console de jeu. Partout. Je pense que les bénéfices de la propriété sont déjà morts. Le problème, c’est principalement un manque d’éducation.

Tout à fait. Autre chose : quand on dit (et par “on” je veux dire “je” !) qu’il faut que les utilisateurs assument la propriété de leur musique, ça ne veut pas dire grand chose. Une génération entière de fans n’a absolument aucune idée de ce que signifie “posséder de la musique”, sous quelque forme que ce soit. Cette génération n’a d’ailleurs jamais eu à faire d’effort non plus pour la trouver.

Oui, comme ma fille de 7 ans. Elle a MOG sur un iPod dans une station d’accueil Altec Lansing dans sa chambre. Elle est accro. Elle ne sait pas faire la différence entre le téléchargement et le streaming. Allez, je dois me sauver !

Pas de problème, merci d’avoir pris le temps de discuter !

Article initialement publié sur Hypebot.com et traduit par Loïc Dumoulin-Richet

Illustrations CC FlickR: william couch, orange_beard, samantha celera

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http://owni.fr/2011/02/28/david-hyman-mog-youtube-ne-mempeche-pas-de-dormir/feed/ 0
David Hyman, PDG de MOG: YouTube, la gratuité et le reste… http://owni.fr/2011/02/26/david-hyman-pdg-de-mog-youtube-la-gratuite-et-le-reste/ http://owni.fr/2011/02/26/david-hyman-pdg-de-mog-youtube-la-gratuite-et-le-reste/#comments Sat, 26 Feb 2011 15:28:20 +0000 Kyle Bylin http://owni.fr/?p=48615 Kyle Bylin est à l’origine du site américain Hypebot.com, qui se fait l’écho des évolutions de l’industre de la musique. Vous pouvez le retrouver sur Twitter (@hypebot, @kbylin)

Cet article est une réponse à l’article : “Youtube : un modèle gratuit qui paye?

J’ai eu l’occasion d’échanger avec David Hyman, le fondateur et PDG de MOG, un service musical basé sur le “cloud”. Au cours de cet entretien, David et moi-même abordons l’impact de YouTube sur la musique et pourquoi les périodes d’essai gratuites sur les services de musique par abonnement doivent être allongées.

Ce qui suit est une version éditée de notre conversation.

Hypebot : Bonjour Dave, merci de m’accorder un peu de votre temps.

David Hyman : Bonjour !

Commençons doucement, nous passerons progressivement à d’autres sujets. Eliot Van Buskirk, du site Evolver.fm, a récemment publié un article à lire absolument. Il y disait des choses intéressantes sur YouTube. Globalement, ce service a beaucoup apporté à la musique, mais paradoxalement, il lui fait sans doute aussi du tort. Pensez-vous que YouTube, avec toute sa musique en accès libre et le fait que chacun puisse y partager ce qu’il veut, soit néfaste pour MOG ?

Je ne pense pas que nous perdions des abonnés au profit de YouTube. Cette expérience (YT) concerne plutôt les tubes. On ne peut pas y écouter une succession de chansons. Il n’y a pas de programmation passive. Pas de playlists. Pas d’albums. Le principe est plutôt : “un titre à la fois”. Avant 1985 on ne faisait pas de clips vidéo, et pourtant il y a eu beaucoup de BONNE MUSIQUE avant 1985 ! Après cette date, la video a été cantonnée à quelques chansons par album au mieux. Si vous voulez entendre les tubes, écoutez la radio ou allez sur YouTube. Je ne crois pas que nos abonnés soient ce type de consommateurs.

D’accord. L’autre point soulevé par Buskirk dans son papier concerne le fait que la plateforme pousse de nombreux développeurs à intégrer l’API de YouTube, au lieu d’essayer de monter des partenariats avec des services existants comme MOG. Le fait que l’API de YouTube soit disponible porte-t-il préjudice à MOG du point de vue de l’innovation et de l’intégration ?

Je n’ai aucun site séduisant utilisant l’API YouTube pour offrir une expérience d’écoute satisfaisante qui me vienne à l’esprit. Nommez-en un ! Vous voyez, YouTube ne nous rend pas service. Mais il ne nous fait pas vraiment de mal, voire pas du tout. Ca me fait juste un peu mal au coeur. Mais je n’en suis pas non plus à perdre le sommeil en m’inquiétant des projections de MOG par rapport à YouTube !

Et SoundHound alors ? Plutôt que de recommender des streams de 30 secondes depuis MOG, leur app envoit les gens vers Youtube.

C’est vrai. Mais Soundhound veut aussi inclure MOG ! Ce sera bientôt le cas. On peut payer à Soundhound des frais d’affiliation. Qu’est ce que Youtube paie à Soundhound ?

Bien vu. Passons ! Un des sujets qui m’interpellent le plus concerne les périodes d’essais gratuits. Pensez vous qu’elles soient trop courtes ?

Bonne question ! Je ne pense pas qu’on ait suffisamment de données pour le moment. Je dirais que Netflix se débrouille très bien pour ce qui est de proposer des prestations satisfaisantes dans le cadre d’une période d’essai de durée comparable.

Et pour les films, est-ce différent ?

Peut être ! Je crois qu’on va en arriver là. Pour fournir davantage que ce que l’on fournit déjà, cela coûterait davantage aux labels. Et quand bien même, ils restreindront toujours la quantité de contenu gratuit que l’on peut proposer. Les frais associés à la mise à disposition de contenu gratuit au delà de la période d’essai gratuit que nous proposons sont prohibitifs. Les labels exigent des taux plutôt élevés sur la base du “par titre/par stream”. La modélisation qu’on a faite nous apprend qu’on ne pourrait pas compenser les coûts par la conversion et la publicité. Est-il possible qu’on ait tort ? Oui. Les taux sont très élevés, croyez-moi. Si je pouvais donner davantage et faire fonctionner le modèle, je le ferais. Nous passons une bonne partie de notre temps chaque jour à plancher sur ce sujet.

C’est aussi comme ça que je vois les choses. Les coûts sont beaucoup trop élevés, quoi qu’on en dise.

Nous essayons de trouver des solutions pour donner gratuitement de manière restreinte et ce de mieux en mieux et avec succès ! Ma seule inquiétude, c’est qu’une fois qu’on passe de “gratuit” à “gratuit restreint”, cela devient un “essai gratuit” et donc on perd l’intérêt de la vraie gratuité. Avec les coûts auxquels on fait face, on ne peut pas fournir du vrai gratuit.

J’imagine que le “gratuit restreint” au final ce serait une fonction “radio” ou du streaming limité. Pour moi, le bon côté d’un tel arrangement est que cela donne aux amateurs de musique le temps de se construire leur bibliothèque musicale. Plus ils aiment de chansons (chacune étant stockée dans leur bibliothèque), plus il est facile pour eux de devenir “propriétaires” de ces titres et de voir la valeur qu’a le fait de payer pour y accéder.

Je suis d’accord.

De mon point de vue, le cas des films est bien différent de celui de la musique. Je dirais que les gens ne se considèrent pas propriétaires des films qu’ils regardent en streaming sur Netflix parce qu’ils ne sont pas sensés l’être. La musique, ce n’est pas comme le cinéma. C’est plus comme le canapé que vous louez. Une fois qu’il est chez vous, vous avez du mal à voir comment vous allez en faire “votre” canapé. Une fois la période d’essai passée, vous n’aurez plus envie de vous en séparer. En vrai, vous pensiez que vous l’aviez loué, mais en fait, vous l’avez dors et déjà acheté.

Bien vu. Je dirai ceci : ne prenez pas ce qui suit pour argent comptant, ce n’est qu’une question de données… On a testé deux options : barrière de péage contre accès gratuit. Demander aux gens de payer avant d’utiliser l’essai gratuit s’est révélé meilleur en termes de conversion, au même niveau que le revenu net. On a tendance à penser que les choses dépendent davantage de comment le visiteur est arrivé sur site. Dans certains cas, ce serait mieux sans paywall. Et cela dépend aussi de la plateforme utilisée : smartphone, web etc…

Je crois que vous avez raison. Là tout de suite je ne me souviens pas des études faites à ce sujet. Mais globalement, nous échouons à prendre en compte la variable “origine” dans la prise de décision. Alors, comment se séparer du fardeau de la “propriété” sans pour autant enlever les avantages cognitifs ?

Les gens doivent pouvoir accéder à la musique de partout : depuis leur voiture, leur télé, leur téléphone, et leur console de jeu. Partout. Je pense que les bénéfices de la propriété sont déjà morts. Le problème, c’est principalement un manque d’éducation.

Tout à fait. Autre chose : quand on dit (et par “on” je veux dire “je” !) qu’il faut que les utilisateurs assument la propriété de leur musique, ça ne veut pas dire grand chose. Une génération entière de fans n’a absolument aucune idée de ce que signifie “posséder de la musique”, sous quelque forme que ce soit. Cette génération n’a d’ailleurs jamais eu à faire d’effort non plus pour la trouver.

Oui, comme ma fille de 7 ans. Elle a MOG sur un iPod dans une station d’accueil Altec Lansing dans sa chambre. Elle est accro. Elle ne sait pas faire la différence entre le téléchargement et le streaming. Allez, je dois me sauver !

Pas de problème, merci d’avoir pris le temps de discuter !

Cet article est une réponse à l’article : “Youtube : un modèle gratuit qui paye?

Article initialement publié sur Hypebot.com

Illustrations CC FlickR: william couch, orange_beard, samantha celera

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YouTube: un modèle gratuit qui paye? http://owni.fr/2011/02/26/youtube-un-modele-gratuit-qui-paye/ http://owni.fr/2011/02/26/youtube-un-modele-gratuit-qui-paye/#comments Sat, 26 Feb 2011 14:15:41 +0000 Eliot Van Buskirk http://owni.fr/?p=48183

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Article initialement publié surEvolver.fm, traduit par Audrey Malmenayde et repéré par OWNImusic.com.

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Eliot Van Buskirk écrit pour le site Evolver.fm et s’interroge sur les problématiques liées à l’évolution des business models de la musique.

Baby, de Justin Bieber, la vidéo la plus vue sur YouTube

Alors que les maisons de disques et les sites de musique en ligne se battent pour convaincre les fans de musique de continuer à payer la musique, YouTube, lui-même un acteur majeur du secteur de la musique enregistrée, affirme que la distribuer gratuitement est aussi rentable pour les ayant-droit que de la faire payer, le tout étant inextricablement lié aux services de musique en ligne freemium comme Spotify et le très attendu Google Music.

Dans un entretien accordé à Evolver.fm au début du mois, les dirigeants de YouTube confirment que le site peut rapporter aux labels autant que des services payants et mettent en avant l’augmentation oscillant entre 200 et 300% de recettes que le site a générées auprès des titulaires de droits d’auteur l’année passée. Ils incombent cette forte croissance à l’augmentation générale du trafic notamment sur les téléphones mobiles, à des formats de publicité optimisés et plus rentables, à l’intégration d’AdWords dans le contenu vidéo (à travers lequel les annonceurs proposent des publicités que l’internaute « choisit » de regarder), à une nouvelle génération de curateurs qui partagent les vidéos sur les blogs et les réseaux sociaux multipliant ainsi leur audience, à des équipes commerciales plus efficaces particulièrement au sein de Vevo (une joint-venture associant Google, les principales maisons de disques et Abu Dhabi) ainsi qu’au système d’identification de contenu de YouTube qui permet aux détenteurs de droits d’auteur de gagner de l’argent même dans le cas d’une utilisation frauduleuse de leurs chansons.

« Nos plus gros partenaires musicaux gagnent plusieurs millions de dollars par mois » confie Chris Maxcy, le directeur des partenariats liés aux contenus sur YouTube. « Ce qui est également très impressionnant, c’est le niveau de croissance. Les niveaux de monétisation ont été multipliés par 2 voire 3 et ce seulement sur l’année passée…Nos labels partenaires sont ravis et nous misons sur une poursuite de la tendance. J’espère que d’ici un an nous pourrons annoncer de nouveau une multiplication des recettes par 2 ou 3 ».

Selon YouTube, la musique gratuite est aussi rentable que la musique payante. Et cela pourrait inspirer Google…

« Nous ne sommes pas attachés à un unique modèle payant en soi » explique Phil Farhi, un chef de produit au sein de l’équipe responsable des solutions de monétisation pour YouTube chez Google. « Nous nous sommes jusque là beaucoup concentrés sur la publicité, mais si certains utilisateurs dépensent de l’argent pour du contenu, d’autres dépensent du temps et de l’attention. Nous nous sommes penchés sur cette seconde catégorie. Et nous voyons qu’en optimisant vraiment tout, nous pouvons rapporter aux labels autant que les autres. »

Certains ne considèrent pas la valeur de la musique gratuite car ils demeurent trop concentrés sur son prix.

« C’est un piège connu : les gens se concentrent uniquement sur le prix des services intégrant la publicité en opposition au prix des plateformes d’abonnement ou de téléchargement », précise Phil Farhi. « Il ne faut pas seulement s’intéresser au prix mais aux niveaux d’audience et de visionnages atteints. »

La gratuité d’un produit en augmente la consommation. C’est une règle microéconomique avérée et une tendance prévisible. En effet qui ne voudrait pas d’un repas gratuit ? Ce qui est plus surprenant c’est que YouTube affirme pouvoir générer autant de recettes que des services payants à l’instar d’iTunes.

« Si on se penche sur les chiffres de Lady Gaga et que l’on compare le nombre de visionnages d’une vidéo sur YouTube et le nombre de téléchargements sur iTunes, il est évident qu’elle gagnera plus d’argent au travers d’un téléchargement payant que d’un visionnage sur YouTube » explique Phil Farhi. « En revanche si l’on raisonne en termes de trafic (c’est à dire le nombre de personnes qui regardent plusieurs fois ses vidéos, qui les regardent avant même de télécharger la chanson ou même découvrent l’artiste sur YouTube) il est aisé de comprendre comment ce système gratuit peut rivaliser avec un service payant. »

Le dilemme entre musique gratuite et musique payante a d’autant plus d’écho que la musique est aujourd’hui de plus en plus distribuée via des applications installées sur les téléphones mobiles, ordinateurs et à terme télévisions ou même autoradios. Les petits développeurs ne pouvant négocier des licences en propre auprès des labels mais désirant intégrer la lecture de morceaux complets à leur offre font face à un choix difficile. Ils peuvent soit intégrer gratuitement les vidéos YouTube à leur application (via Discovr) soit développer un abonnement limitant le temps d’écoute à 30 secondes pour les non-inscrits (MusicMapper).

Il y a quelques semaines, nous avons interrogé YouTube sur les risques que font peser sur l’industrie musicale une offre de musique gratuite et à la demande devenant une alternative à des services tels que MOG, Rdio, Rhapsody ou Spotify auprès des utilisateurs et des développeurs.

« Vous soulevez des questions intéressantes au sujet de certaines de ces applications » nous a répondu le directeur des partenariats liés aux contenus  Chris Maxcy. « Notre philosophie est la suivante : nous souhaitons rendre notre contenu le plus accessible possible. Nous voulons être la plus grande plateforme de divertissement, et nous pensons l’être déjà. Nous voulons nous assurer que les internautes ont accès aux vidéos par différents moyens…Tout cela est positif mais le risque avec ce principe et le système attenant, c’est que quelques personnes dans le monde abuseront de votre bonté et de l’accessibilité du contenu. Avec nos APIs, la grande majorité des développeurs respecte nos conditions d’utilisation. »

Sur les 10 vidéos les plus populaires sur YouTube, sept sont musicales

Les conditions d’utilisation de l’API YouTube précisent que les développeurs qui veulent intégrer des morceaux entiers à leur application peuvent le faire seulement s’il s’agit d’applications non commerciales (NB : cette information a été livrée par Farhi lors de l’entretien mais apparemment YouTube autorise l’utilisation de son interface dans une optique commerciale), si les vidéos complètes sont présentées et non seulement la musique qui en est extraite, et si les publicités de YouTube sont prises en compte.

Songza, Muziic et d’autres services n’ont pas respecté ces règles il y a quelques années, suite à quoi YouTube leur a interdit l’accès à son API ou menacé d’interdiction.

« Je pense que les applications intégrant la musique sont une excellente idée et nombre de services sont sérieux. Il est plus intelligent pour un développeur de s’assurer de respecter les conditions d’utilisation que de penser pouvoir les contourner pour accéder à notre plateforme » précise Phil Farhi. « Ils seront obligés de cesser leur activité et l’expérience du consommateur sera mauvaise car il ne pourra plus regarder les vidéos YouTube ».

Il est donc clair que si les développeurs d’applications poussent trop loin leur intégration de YouTube, ils en seront empêchés et YouTube a prouvé par le passé être capable de telles mesures. En revanche le constat que la musique gratuite est aussi rentable que la musique payante prouve que les développeurs devraient inclure les deux options : des vidéos YouTube pour les fans qui ne veulent pas payer pour écouter de la musique et un service d’abonnement tel que Rdio pour ceux qui désirent le faire.

A terme, le véritable bénéficiaire du postulat « la musique gratuite et la musique payante génèrent autant de recettes » pourrait être Spotify, ou même Google.

Phil Farhi constate le succès de Spotify sur la plateforme Facebook en Europe, car les internautes intègrent les liens Spotify à leur fil d’actualité (la version gratuite offre jusqu’à 20 heures de musique par mois). De plus, Spotify s’intègre directement à Facebook comme un réseau de partage musical. En revanche aux Etats-Unis les utilisateurs de Facebook préfèrent largement intégrer la musique via YouTube, comme chaque fan de musique américaine sur Facebook a pu le constater.

L’atout de Spotify réside dans sa capacité d’une part à rentabiliser l’écoute gratuite au travers de la publicité, d’autre part à permettre aux utilisateurs prêts à payer des services supplémentaires (application mobile, lecture hors ligne, meilleure qualité de son, absence de publicité) de ne pas changer de service et risquer de perdre leurs playlists, notes et contacts.

La leçon à tirer du débat entre YouTube et les services de musique payants est que Spotify, ou un type de service équivalent tirant profit à la fois de la musique gratuite et payante, est capable de générer des recettes au sein d’une industrie en proie à une profonde crise.

Lire la réaction de David Hyman, PDG de MOG au sujet de cet article.

Illustrations CC FlickR: webtreats & captures d’écran.

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http://owni.fr/2011/02/26/youtube-un-modele-gratuit-qui-paye/feed/ 2
YouTube : “la musique gratuite rapporte autant que la musique payante” http://owni.fr/2011/02/22/youtube-la-musique-gratuite-rapporte-autant-que-la-musique-payante/ http://owni.fr/2011/02/22/youtube-la-musique-gratuite-rapporte-autant-que-la-musique-payante/#comments Tue, 22 Feb 2011 14:04:21 +0000 Eliot Van Buskirk http://owni.fr/?p=30457 Eliot Van Buskirk écrit pour le site Evolver.fm et s’interroge sur les problématiques liées à l’évolution des business models de la musique.

Baby, de Justin Bieber, la vidéo la plus vue sur YouTube

Alors que les maisons de disques et les sites de musique en ligne se battent pour convaincre les fans de musique de continuer à payer la musique, YouTube, lui-même un acteur majeur du secteur de la musique enregistrée, affirme que la distribuer gratuitement est aussi rentable pour les ayant-droit que de la faire payer, le tout étant inextricablement lié aux services de musique en ligne freemium comme Spotify et le très attendu Google Music.

Dans un entretien accordé à Evolver.fm au début du mois, les dirigeants de YouTube confirment que le site peut rapporter aux labels autant que des services payants et mettent en avant l’augmentation oscillant entre 200 et 300% de recettes que le site a générées auprès des titulaires de droits d’auteur l’année passée. Ils incombent cette forte croissance à l’augmentation générale du trafic notamment sur les téléphones mobiles, à des formats de publicité optimisés et plus rentables, à l’intégration d’AdWords dans le contenu vidéo (à travers lequel les annonceurs proposent des publicités que l’internaute « choisit » de regarder), à une nouvelle génération de curateurs qui partagent les vidéos sur les blogs et les réseaux sociaux multipliant ainsi leur audience, à des équipes commerciales plus efficaces particulièrement au sein de Vevo (une joint-venture associant Google, les principales maisons de disques et Abu Dhabi) ainsi qu’au système d’identification de contenu de YouTube qui permet aux détenteurs de droits d’auteur de gagner de l’argent même dans le cas d’une utilisation frauduleuse de leurs chansons.

« Nos plus gros partenaires musicaux gagnent plusieurs millions de dollars par mois » confie Chris Maxcy, le directeur des partenariats liés aux contenus sur YouTube. « Ce qui est également très impressionnant, c’est le niveau de croissance. Les niveaux de monétisation ont été multipliés par 2 voire 3 et ce seulement sur l’année passée…Nos labels partenaires sont ravis et nous misons sur une poursuite de la tendance. J’espère que d’ici un an nous pourrons annoncer de nouveau une multiplication des recettes par 2 ou 3 ».

Selon YouTube, la musique gratuite est aussi rentable que la musique payante. Et cela pourrait inspirer Google…

« Nous ne sommes pas attachés à un unique modèle payant en soi » explique Phil Farhi, un chef de produit au sein de l’équipe responsable des solutions de monétisation pour YouTube chez Google. « Nous nous sommes jusque là beaucoup concentrés sur la publicité, mais si certains utilisateurs dépensent de l’argent pour du contenu, d’autres dépensent du temps et de l’attention. Nous nous sommes penchés sur cette seconde catégorie. Et nous voyons qu’en optimisant vraiment tout, nous pouvons rapporter aux labels autant que les autres. »

Certains ne considèrent pas la valeur de la musique gratuite car ils demeurent trop concentrés sur son prix.

« C’est un piège connu : les gens se concentrent uniquement sur le prix des services intégrant la publicité en opposition au prix des plateformes d’abonnement ou de téléchargement », précise Phil Farhi. « Il ne faut pas seulement s’intéresser au prix mais aux niveaux d’audience et de visionnages atteints. »

La gratuité d’un produit en augmente la consommation. C’est une règle microéconomique avérée et une tendance prévisible. En effet qui ne voudrait pas d’un repas gratuit ? Ce qui est plus surprenant c’est que YouTube affirme pouvoir générer autant de recettes que des services payants à l’instar d’iTunes.

« Si on se penche sur les chiffres de Lady Gaga et que l’on compare le nombre de visionnages d’une vidéo sur YouTube et le nombre de téléchargements sur iTunes, il est évident qu’elle gagnera plus d’argent au travers d’un téléchargement payant que d’un visionnage sur YouTube » explique Phil Farhi. « En revanche si l’on raisonne en termes de trafic (c’est à dire le nombre de personnes qui regardent plusieurs fois ses vidéos, qui les regardent avant même de télécharger la chanson ou même découvrent l’artiste sur YouTube) il est aisé de comprendre comment ce système gratuit peut rivaliser avec un service payant. »

Le dilemme entre musique gratuite et musique payante a d’autant plus d’écho que la musique est aujourd’hui de plus en plus distribuée via des applications installées sur les téléphones mobiles, ordinateurs et à terme télévisions ou même autoradios. Les petits développeurs ne pouvant négocier des licences en propre auprès des labels mais désirant intégrer la lecture de morceaux complets à leur offre font face à un choix difficile. Ils peuvent soit intégrer gratuitement les vidéos YouTube à leur application (via Discovr) soit développer un abonnement limitant le temps d’écoute à 30 secondes pour les non-inscrits (MusicMapper).

Il y a quelques semaines, nous avons interrogé YouTube sur les risques que font peser sur l’industrie musicale une offre de musique gratuite et à la demande devenant une alternative à des services tels que MOG, Rdio, Rhapsody ou Spotify auprès des utilisateurs et des développeurs.

« Vous soulevez des questions intéressantes au sujet de certaines de ces applications » nous a répondu le directeur des partenariats liés aux contenus  Chris Maxcy. « Notre philosophie est la suivante : nous souhaitons rendre notre contenu le plus accessible possible. Nous voulons être la plus grande plateforme de divertissement, et nous pensons l’être déjà. Nous voulons nous assurer que les internautes ont accès aux vidéos par différents moyens…Tout cela est positif mais le risque avec ce principe et le système attenant, c’est que quelques personnes dans le monde abuseront de votre bonté et de l’accessibilité du contenu. Avec nos APIs, la grande majorité des développeurs respecte nos conditions d’utilisation. »

Sur les 1à vidéos les plus populaires sur YouTube, sept sont musicales

Les conditions d’utilisation de l’API YouTube précisent que les développeurs qui veulent intégrer des morceaux entiers à leur application peuvent le faire seulement s’il s’agit d’applications non commerciales (NB : cette information a été livrée par Farhi lors de l’entretien mais apparemment YouTube autorise l’utilisation de son interface dans une optique commerciale), si les vidéos complètes sont présentées et non seulement la musique qui en est extraite, et si les publicités de YouTube sont prises en compte.

Songza, Muziic et d’autres services n’ont pas respecté ces règles il y a quelques années, suite à quoi YouTube leur a interdit l’accès à son API ou menacé d’interdiction.

« Je pense que les applications intégrant la musique sont une excellente idée et nombre de services sont sérieux. Il est plus intelligent pour un développeur de s’assurer de respecter les conditions d’utilisation que de penser pouvoir les contourner pour accéder à notre plateforme » précise Phil Farhi. « Ils seront obligés de cesser leur activité et l’expérience du consommateur sera mauvaise car il ne pourra plus regarder les vidéos YouTube ».

Il est donc clair que si les développeurs d’applications poussent trop loin leur intégration de YouTube, ils en seront empêchés et YouTube a prouvé par le passé être capable de telles mesures. En revanche le constat que la musique gratuite est aussi rentable que la musique payante prouve que les développeurs devraient inclure les deux options : des vidéos YouTube pour les fans qui ne veulent pas payer pour écouter de la musique et un service d’abonnement tel que Rdio pour ceux qui désirent le faire.

A terme, le véritable bénéficiaire du postulat « la musique gratuite et la musique payante génèrent autant de recettes » pourrait être Spotify, ou même Google.

Phil Farhi constate le succès de Spotify sur la plateforme Facebook en Europe, car les internautes intègrent les liens Spotify à leur fil d’actualité (la version gratuite offre jusqu’à 20 heures de musique par mois). De plus, Spotify s’intègre directement à Facebook comme un réseau de partage musical. En revanche aux Etats-Unis les utilisateurs de Facebook préfèrent largement intégrer la musique via YouTube, comme chaque fan de musique américaine sur Facebook a pu le constater.

L’atout de Spotify réside dans sa capacité d’une part à rentabiliser l’écoute gratuite au travers de la publicité, d’autre part à permettre aux utilisateurs prêts à payer des services supplémentaires (application mobile, lecture hors ligne, meilleure qualité de son, absence de publicité) de ne pas changer de service et risquer de perdre leurs playlists, notes et contacts.

La leçon à tirer du débat entre YouTube et les services de musique payants est que Spotify, ou un type de service équivalent tirant profit à la fois de la musique gratuite et payante, est capable de générer des recettes au sein d’une industrie en proie à une profonde crise.

Article initialement publié sur Evolver.fm et traduit par Audrey Malmenayde.

Crédit photos : FlickR CC codenamecueball & captures d’écran.

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Le mirage de la musique gratuite http://owni.fr/2010/06/21/le-mirage-de-la-musique-gratuite/ http://owni.fr/2010/06/21/le-mirage-de-la-musique-gratuite/#comments Mon, 21 Jun 2010 09:11:04 +0000 Jeremy Schlosberg http://owni.fr/?p=19508 Jeremy Schlosberg est un blogueur musical de qualité, officiant depuis 2003 sur Fingertips Music, blog devenu depuis une référence en la matière et proposant gratuitement et légalement des chansons à écouter et à télécharger.

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Ces dix dernières années, l’idée que la musique enregistrée “devait” être gratuite est passée de la position radicale de ceux qui étaient assez geeks pour utiliser les sites de partages à un cri de ralliement habituel.

Les cartes ont été tellement redistribuées que quiconque ose suggérer que les gens devraient de nouveau payer pour de la musique peut s’attendre à être tourné en dérision.

Au fil du temps, beaucoup de musiciens eux-mêmes ont accepté cette situation. Ou plutôt, ils ont été prêts à s’adapter et à dire “bon, ok, si la musique doit être gratuite, je vais trouver quelque chose, je vais m’adapter”.

Et si tout cela n’était que le produit d’imaginations trop fertiles ? Et si en fait la musique enregistrée ne devait pas être gratuite ?

Vu de l’extérieur, la musique gratuite est un concept étrange. Pour commencer, l’idée est issue de la violation des droits de la propriété intellectuelle. Qu’ils soient imparfaits et qu’ils aient besoin d’ajustements, peut-être, mais ça reste quand même un concept culturel vital. On peut objecter que certains aspects de la propriété intellectuelle sont complètement à côté de la plaque, comme les ridicules extensions du copyright qui ont été accordées récemment, sans pour autant dire qu’il ne devrait pas y avoir de propriété intellectuelle du tout, ou que les musiciens en particulier devraient donner leur musique gratuitement.

Il est aussi question de dignité humaine. Même si vous pensez que vous avez de bonnes intentions, prendre gratuitement quelque chose qui n’était pas sensé l’être n’est ni sympa, ni juste. Distribuer ce “quelque chose” à des milliers de personnes est… eh bien, c’est vraiment pas correct.

Bien sûr, la question du partage de la musique n’est pas toute noire ou toute blanche. Vu de l’extérieur également, il est clair qu’il y a de tout dans le partage de la musique en ligne : de l’aficionado qui partage de la vieille musique sur un blog avec cinquante lecteurs, en passant par celui qui aime tellement une nouvelle chanson qu’il veut la partager avec quelques potes, jusqu’au gamin qui passe son temps à ripper les CD connus le jour de leur sortie (ou avant) et à les mettre sur les réseaux de pair à pair.

Une saine discussion de ce problème et de ces différents types de partage aurait du être lancée au début des années 2000.

Cette discussion n’a jamais vraiment eu lieu, en grande partie parce que les majors sont parties bille en tête combattre toutes les formes de partage, quel que soit le contexte.

Ce n’est peut-être pas une coïncidence si tout ceux qui plaident pour la musique gratuite se sont peu intéressés aux zones grises. Peut-être que c’est une sorte de réaction à l’attaque de l’industrie musicale, et peut-être que les adhérents à la musique gratuite, comme tous les fanatiques, tendent naturellement vers l’extrémisme.

La foule n’a pas forcément raison

Dans tous les cas, entre les appels véhéments aux artistes pour qu’ils arrêtent de vendre de la musique (ils devraient vendre des “expériences” à la place, ou des tee-shirts) et les joyeuses anticipations de notre futur, dans lequel chaque chanson vaut au mieux quelques centimes ou est entièrement financée par la publicité, et où personne n’a à vendre quoi que ce soit qui ressemble à un produit physique ou un fichier digital, la foule de la musique gratuite est prête à crier victoire.

Mais ce n’est pas parce que beaucoup croient à une chose qu’elle en devient vraie, ou juste, ou bonne. Et parce que les conversations sur Internet tendent à être dominées par les voix les plus fortes, le bien, le juste et le bon sont facilement mis à l’écart.

Les chantres de la musique gratuite ont parlé fort, convaincus qu’ils étaient les seuls à être en prise avec la réalité. “Habituez-vous !” nous disent-ils. “Arrêtez de vivre dans le passé”, expliquent-ils. On peut presque sentir leurs mains agripper nos cols, prêtes à nous arracher à notre routine du XXe siècle.

Mais voilà une vraie info : ce sont peut-être les pom-pom girls de la musique gratuite qui sont bloquées dans le passé.

Ce sont eux qui sont attachés à l’idée démodée que la valeur monétaire dépend de quelque chose ayant une présence physique en trois dimensions. Parce qu’à mon avis, le vrai visionnaire du futur de la musique sera celui qui arrivera à mettre en place une industrie qui attache une vraie valeur monétaire à des entités digitales.

Comprenez que plaider que la musique ne doit pas être gratuite ne fait pas de moi a) un laquais des majors b) quelqu’un qui croit que toute la musique doit être payée c) un convaincu qu’un grand nombre de gens vont nécessairement dépenser de l’argent pour télécharger des MP3 dans le futur.

Je comprends que la technologie va continuer à évoluer, que les gens vont payer plus pour accéder que pour posséder, et que des éventualités qu’on n’imagine pas encore vont surgir. Et je crois qu’on pourra tirer de grands bénéfices à élargir nos idées sur le pourquoi et le comment la musique doit être distribuée et achetée.

Mais ne nous trompons pas. Ceux qui regardent l’industrie musicale du XXIe siècle et qui affirment que la musique doit être gratuite ont des visions. C’est un mirage. Les autres doivent secouer la tête, rouler des yeux et passer leur chemin.

Vers les extrêmes

Une des raisons pour lesquelles le camp de la musique gratuite a gagné en crédibilité est qu’il est opposé à un ennemi détesté et dont on se méfie. Peu de gens soutiennent les grandes majors, à raison. Elles ont très mal négocié le virage numérique et se sont constamment élevées contre tout progrès juste.

Mais – et c’est la partie qu’on a tendance à oublier – les défenseurs de la musique gratuite ont fait pareil.

Si le modèle historique des revenus de la musique est profondément injuste – ce qui est très probable – il faut utiliser cette opportunité pour le changer. Et dire que la nouvelle réponse est que toute musique enregistrée doit désormais être gratuite est juste aussi absurde et extrémiste au vu des réalités du XXIe siècle que le sont les procès intentés par les majors envers leurs clients. Ces derniers sont une sorte de délire fasciste et le premier est à peine plus qu’un fantasme adolescent.

S’il n’y avait rien d’autre, cette fixette sur la musique gratuite aurait l’air d’être une bonne volonté mal employée. Pourquoi les gens veulent tant se battre pour la musique gratuite, et pas pour qu’un musicien talentueux ait le droit le gagner sa vie avec sa musique ? Pourquoi les gens se cassent-ils la tête pour inventer des scénarios improbables pour que les musiciens gagnent de l’argent plutôt que de se battre pour préserver la valeur de la musique ?

On oublie trop souvent ces questions essentielles. En défendant leur position, certains chantres de la musique gratuite ressemblent à des enfants querelleurs qui ne veulent pas entendre qu’ils ne peuvent pas manger des bonbons au petit-déjeuner. Beaucoup répondent avec agressivité à quiconque leur suggère qu’il pourrait peut-être y avoir un problème légal et moral à leur grand projet.

De plus en plus curieux

Maintenant, j’admets que l’immatérialité est quelque chose d’étrange pour nous autres, êtres de chair et de sang. C’est même le soubassement des arguments pour la gratuité de la musique : ce qui est complètement numérique et immatériel ne peut pas avoir de valeur monétaire.

Mais il y a quelque chose d’encore plus curieux. Si vous voulions payer pour la musique dans le passé, quand elle était gravée sur un CD, une cassette ou un vinyle, on ne veut plus payer désormais, alors que l’on peut encore l’écouter, encore plus facilement qu’auparavant. La conséquence est claire mais surprenante : dans le passé on payait exclusivement pour le support physique, et pas un centime pour la musique elle-même.

Bien sûr, c’est une mauvaise chose. Bien sûr que nous payions de la musique, en fait, mais disons qu’on avait pas vraiment le packaging et la boîte en plastique à l’esprit quand il s’agissait d’allonger la maille. Mais du coup – ça semble assez clair – si nous payions pour la musique, alors nous devrions encore pouvoir le faire aujourd’hui. Nous devrions payer pour la musique, mais avec un changement notable : la musique devrait coûter moins cher, parce que les coûts de distribution ont diminués.

Mais il manque quelque chose à cet argument. On devrait le refuser, et se demander à la place pourquoi Internet nous fait penser qu’on ne devrait ni ne voudrait payer pour la musique ?

Il y a un camp qui croit que la réponse à cette question est purement économique, un argument bien expliqué par Michael Arrington de TechCrunch, qui a déclaré en 2007 que la musique deviendrait nécessairement gratuite à terme, puisque les coûts marginaux de production sont nuls. Plus clairement, il voulait dire qu’il ne coûtait rien de produire une copie digitale identique d’une chanson donnée.

Pour sa défense, Arrington a encouragé la discussion. Il n’a pas eu peur de la critique, même s’il a jugé que la majeure partie était “émotionnelle”. Il défendait la position selon laquelle la théorie économique était une vérité aussi immuable que la gravité universelle (je me sens obligé de souligner qu’objectivement, c’est faux). Il a noté à plusieurs reprise que la justice n’était pas en question.

Mais dans ce cas, je dois dire, avec tout le respect que je lui dois, que l’argument n’a aucun sens. La justice compte beaucoup, tout comme le libre marché a toujours été complètement contenu et régulé par des facteurs légaux et culturels. Nous vivons dans un monde moralement très complexe, pas dans une épure économique abstraite. Si on se refuse à interférer dans le débat moral, alors on se refuse d’interférer dans ce qui compte vraiment.

Quoi, moi, inquiet ?

Les défenseurs de la musique gratuite qui ne trouvent pas refuge dans l’économie brute aiment utiliser deux arguments très en vue pour expliquer que la musique sur Internet doit être gratuite. Et si l’argument économique évite habilement la question morale, les gens qui utilisent cet autre argument l’abordent en revanche directement. C’est l’argument “je ne fais rien de mal”.

Il y a des variations, mais le plus commun reste “je ne fais rien de mal parce que rien n’est vraiment volé”.

L’émergence du concept “les octets ne sont pas vraiment réels” oublie l’idée élémentaire, mentionnée plus tôt, selon laquelle si tu décides de ne pas payer pour quelque chose dont propriétaire a fixé un prix, et que tu prends quand même possession de cette chose, c’est mal. Mais si on se contente de faire des analyses, des interprétations et autres subtilités on oublie le cœur du débat : on prend possession de quelque chose ne nous appartenant pas et sans payer.

De plus la prémice entière est enracinée dans l’illogisme. D’un côté, la bande des “je ne fais rien de mal” a défendu l’idée selon laquelle elle devrait pouvoir prendre la musique numérique gratuitement parce qu’elle n’a pas de réelle valeur. De l’autre, elle veut suffisamment la musique pour l’avoir à sa disposition, ce veut dire – hum – qu’elle a de la valeur.

Parce qu’évidemment qu’elle en a. Les fichiers numériques sont peut-être insaisissables mais ils n’en sont pas moins très réels. Dire qu’on ne vole rien du tout parce que le propriétaire détient encore le fichier originel n’a pas de sens. C’est pareil que de de dire qu’il n’y a rien de mal à ce que quelqu’un pirate votre compte en banque et ajoute de l’argent dessus parce que “rien n’est vraiment volé”.

Déjà gratuit ? Heu… non.

L’autre argument pour dire que la musique doit être gratuite est qu’elle “est déjà gratuite”. Les gens pensent que ce qui était juste ou injuste ne compte plus, tout le monde peut avoir tout ce qu’il veut gratuitement, pourquoi même en discuter, bande d’idiots (ou quelque chose comme ça). Notez que les gens qui utilisent ce genre d’arguments sont toujours un peu en colère.

“La musique est déjà gratuite” est une astuce rhétorique – l’argument d’un débatteur rusé qui veut recentrer la discussion au-delà de la discussion de base. Mais ça ne fonctionne pas. La seule façon que la musique soit effectivement gratuite est de prendre, gratuitement, à quelqu’un quelque chose qu’il ne donnait pas gratuitement. Avec le même raisonnement, on pourrait dire que les CD dans un magasin sont mis gratuitement à la disposition de ceux qui veulent les voler.

Et si on oublie les arguments ayant trait à la propriété intellectuelle, on devrait également noter que la musique n’est pas “déjà gratuite” parce que – petit détail – beaucoup de gens l’achètent encore.

Les gens qui achètent des CD et téléchargent légalement la musique sont encore relativement nombreux, parfois de manière un peu surprenante (comme pour le dernier album de Sade, sans parler de l’album de Susan Boyle). Oui, les ventes sont en diminution par rapport à l’âge d’or du CD, mais les raisons à cela sont nombreuses et variées. Mais il n’y a pas de preuves solides que les gens qui n’achètent plus d’albums accèdent maintenant gratuitement à leur musique. Tout comme il est fallacieux de prétendre que plus personne n’achète de musique.

Un autre aspect de la vision “déjà gratuite” que la réalité met à rude épreuve est le fait que les musiciens vendent encore leur musique. Et, comme Glenn Peoples l’a récemment réaffirmé dans Billboard, il reste des raisons contraignantes qui les poussent à agir ainsi.

Et quid des 35% d’Américains qui n’ont pas encore le haut-débit ? Si on n’a pas de haut-débit, on ne peut pas télécharger de musique. La musique n’est pas gratuite pour eux.

Et au fait, le sens commun nous dit que la plupart des gens qui utilisent le haut-débit n’ont qu’une vague idée de comment utiliser les réseaux de peer-to-peer. Ne serait-ce que parce que l’histoire des technologies domestiques a montré un nombre incalculable de fois que l’utilisateur moyen est rebuté par tout ce qui est un tout petit peu compliqué.

Ressusciter la valeur

Il y a un dernier problème avec l’affirmation “la musique est déjà gratuite”. C’est  un problème qui compromet tous les arguments des défenseurs de la musique gratuite. C’est le fait incontestable que beaucoup de fans de musique aiment acheter des chansons et des albums des musiciens qu’ils aiment. Pas des tee-shirts. Pas des coffrets spéciaux, des b-sides et des remixes. Des chansons et des albums normaux.

Je suis un de ces fans. Et je réfute l’hypothèse formulée par les défenseurs de la musique gratuite que tout ceux qui aiment la musique veulent avoir toute la musique qu’ils veulent gratuitement.

Je trouve cela un peu insultant.

Pourquoi est-ce qu’ils pensent que c’est faux ou dépassé de vouloir payer les musiciens pour leur art ? Est-ce démodé d’acheter une toile d’un artiste qu’on admire ? Dit d’une autre façon, pourquoi autant de gens ont-ils été si déterminés à utiliser l’existence de fichiers numériques comme excuse pour dénigrer l’idée que la production musicale a une vraie valeur ?

Tout ce discours à propos du fait que la musique “doit” être gratuite est étrange au milieu d’une société qui n’a pas vraiment abandonné le concept du capitalisme. Le camp de la musique gratuite pense qu’il est en train de sauver et d’inventer l’industrie de la musique alors qu’il ne fait que creuser sa tombe.

Et se cacher vers des sources de revenus alternatives ne marche pas. Toutes ces solutions détournées pour rémunérer les musiciens – du merchandising aux revenus générés par la publicité – ont une chose en commun, sans parler du peu d’argent qu’elles génèrent : elles dévaluent toutes implicitement la musique.

On ne peut pas non plus se cacher derrière les forces de l’histoire. Il n’existe pas de précédent historique pour justifier l’idée que devenant numérique, la musique doit être gratuite. L’histoire est pleine de changements d’un type de produit à un autre, des glaçons aux réfrigérateurs, des chevaux aux voitures, des films aux photos numériques. Dans tous les cas, le produit de remplacement remplit une fonction d’une nouvelle manière plus efficace, et les gens payent en fonction de ça.

La seule raison valide qui explique pourquoi Internet comme nouveau canal de la musique a provoqué cette idée de la musique gratuite n’a rien a voir avec l’histoire, rien avoir avec les lois de propriété intellectuelle, rien à voir avec les coûts de production marginaux. Il a à voir en revanche avec l’économie, plus précisément la bonne vieille loi de l’offre et de la demande.

Comme Internet a éliminé la barrière qui empêchait le musicien d’enregistrer et de diffuser librement sa musique, le marché a été inondé, les tuyaux définitivement obstrués. Avec une offre de musique quasiment infinie, le prix de la musique devrait tomber à 0.

Distinguer qualité et quantité

A moins – ok, c’est une idée un peu folle, mais… à moins que d’une manière ou d’une autre on essaye de distinguer qualité et quantité. Bien sûr il y a une quantité ahurissante de choses insignifiantes en musique aujourd’hui, mais il y a et il y aura toujours une petite quantité de musique de qualité. Je ne sais pas exactement comment cela pourrait se faire – peut-être le sujet d’un autre papier – mais si on peut commencer à séparer le bon grain de l’ivraie, on pourrait déterminer pourquoi certaines musiques méritent d’être payées, alors que d’autres sont plus adaptées à une distribution gratuite.

Il y a énormément de précédents à cela. Pensez aux artistes à la maison, qui dessinent, peignent ou sculptent seulement parce qu’ils aiment cela, sans aucun désir ni intention d’être payé pour ça. Leur existence, cependant, n’a jamais impliqué que personne ne devait être payé pour ces peintures, ces dessins et ces sculptures.

Il faut qu’il y ait différents niveaux. On ne peut pas laisser l’existence de millions de chansons qui ne méritent pas un public au-delà du cercle de la famille et des amis nier l’idée que certaines chansons ont de la valeur sur le marché. On n’a pas besoin de dire aux musiciens qu’ils doivent travailler plus dur pour maîtriser les médias sociaux. Ils ont besoin de travailler plus dur pour améliorer leur art, et ont besoin de se souvenir que personne ne doit aux musiciens leur moyen de subsistance.

Si on pouvait enlever nos œillères et regarder réellement vers l’avant, si on pouvait réellement comprendre ce qui y est et ce qui n’y est pas – on pourrait reconnaître qu’on a nous aussi du travail. Alors que les sites de streaming continuent leur développement, c’est plus facile que jamais d’utiliser Internet pour écouter, et on peut du coup acheter en connaissance de cause. On peut faire quelque chose de vraiment révolutionnaire : acheter la musique qu’on aime.

Parce que voilà la nouvelle règle : si quelqu’un a fait quelque chose que vous aimez beaucoup, ce n’est pas sensé être gratuit.

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Billet originellement publié par Jeremy Schlosberg sur Music Think Tank, sous le titre : “The Free Music Mirage“.

Traduction : Martin U.

Crédits Photo CC Flickr : ShankarmenonGiulias, St3f4n, Eichertt, Chris Carter, Jiliba & Always Be Cool.

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