Dur dur d’expliquer Internet

Le 27 septembre 2012

Que les geeks et les institutions de la République communiquent. Voilà le mot d'ordre d'"On vous explique Internet", une rencontre organisée hier par l'élue UMP Laure de la Raudière. Initiative qui n'a pas rameuté les foules, en particulier du côté de l'Etat : pas facile de réunir tout le monde autour de ce sujet vaste et complexe...

“Il faut secouer le cocotier !” C’est la mission confiée par Jean-Paul Delevoye, le président du Conseil Economique, Social et Environnemental, à la rencontre On vous explique Internet (OVEI), qu’il recevait hier entre ses murs. Chapeauté par la député UMP Laure de la Raudière, l’évènement a réuni une petite centaine de personnes, “internautes” autoproclamés, experts, attachés parlementaires et quelques (rares) élus, invités à papoter autour de grandes problématiques du Net : gouvernance, déploiement du très haut débit et éternelle question de la place du droit sur le réseau. Dans l’espoir d’enfin “assurer le dialogue entre les geeks et les institutions de la République”. Un bon début, même si la République, elle, n’était pas toujours au rendez-vous.

Internet, c’est l’enfer

Seuls trois parlementaires ont ainsi fait le déplacement. Parmi eux, le doyen de l’Assemblée. Des assistants parlementaires, des membres du CSA, de l’Arcep, de l’Hadopi et de la fameuse mission Lescure ont aussi répondu présents. Mais aucun membre du gouvernement. “Internet c’est diffus, ça se retrouve dans tous les domaines d’intervention des élus. Du coup, c’est compliqué de mobiliser les élus”, explique Laure de la Raudière.

Pourtant, tous s’accordent sur la nécessité de ce genre d’initiative. “Internet, ça apparaît comme l’enfer derrière une porte. Mais une fois qu’on l’a ouverte, on ne peut plus s’en passer !”, a lancé Jean-Paul Delevoye, qui appelle à “changer les choses de l’extérieur”. De l’extérieur précisément, Benjamin Bayart, président du FAI associatif FDN et tribun toujours efficace de la cause du Net, s’est directement adressé aux élus en guise de préambule :

Vous ne pouvez pas éviter de prendre des positions idiotes à cause de deux écueils : la peur d’Internet, parce que c’est inconnu, donc ça fait peur, et la technique.

Par analogies concrètes, l’ingénieur télécom a tenté de démontrer l’absurdité de certains réflexes sur Internet :

Demander le filtrage d’Internet, c’est comme exiger l’invention d’un asphalte qui empêche les excès de vitesse. Structurellement. Sauf pour les voitures de flic. Là, on a quand même l’intuition qu’il y a certaines barrières.

C’est sur ce ton pédagogique mais décomplexé que les trois ateliers ont suivi dans des salles au format réduit, pour une meilleure distribution de la parole. Bertrand de La Chapelle de l’Icann (organisation américaine qui attribue les noms de domaine sur Internet), Mathieu Weil de l’Afnic (qui gère les .fr) et Nicolas Arpagian de l’INESJ (Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice), expliquant la tension entre l’ordre normatif vertical des Etats et celui plus horizontal des sites Internet ; Eric Freyssinet (chef de la division de lutte contre la cybercirminalité de la Gendarmerie nationale) et Paul Da Silva (web entrepreneur) animant la réflexion sur l’application de la loi sur Internet ; Antoine Darodes de l’Arcep, Raphaël Maunier (opérateur, co-fondateur de France-IX) et Julien Rabier (opérateur, FDN) évoquant avec élus et usagers le laborieux déploiement de la fibre optique sur le territoire. Témoignages, expériences, doutes, craintes : “il n’y a pas de questions naïves dans OVEI”, a rassuré Laure de la Raudière.

En 2012, Internet n’existe pas

Si les participants semblaient enthousiastes, restent tous ceux qui ne sont pas venus. “C’est un succès nuancé”, concède Gaël Bielecki, co-organisateur, avec Bruno Spiquel, de l’événement :

La mobilisation des élus et des cabinets est toujours très complexe.

Evénement trop modeste ou à l’intérêt limité ? Pour Jean-Paul Delevoye, il y a aujourd’hui un “problème” :

Les politiciens sont des machines de pouvoir. Quand ils s’emparent d’une question, ils la tuent. Ils ne s’intéressent plus à la pertinence de cette question mais au croche-pied qu’ils pourront faire au camp d’en face.

“En 2012, Internet n’existe pas”. C’est la conclusion que nous avions tirée d’une enquête de plusieurs mois sur la place du numérique dans la campagne présidentielle de l’UMP et du PS. Pas assez clivant, le sujet n’est pas un appeau à électeurs. Pourquoi alors l’investir ? C’est à ceux qui comprennent Internet auquel il appartient de bouger les choses, estime Jean-Paul Delevoye :

Comment pouvez-vous nous aider à réveiller les citoyens plutôt qu’à chatouiller les électeurs ?

[visu] En 2012, Internet n’existe pas

[visu] En 2012, Internet n’existe pas

Visualiser en un coup d’œil les propositions des candidats sur le numérique. C'est ce que OWNI vous propose en ...

Laure de la Raudière a souhaité un dialogue ouvert, suivant “un esprit républicain et neutre”, qui tranche avec “ce qui se passe au Parlement”. “Sans lobby aussi”, a-t-elle insisté : “si on veut bien comprendre Internet, il faut le faire sans eux !” Et en effet, aucun intérêt commercial n’était directement représenté dans le panel d’intervenants, même si la fondation Free a financé, avec l’Afnic, une partie de l’évènement.

Il semble néanmoins difficile de réaliser un débat transpartisan. Sur Internet aussi, le jeu politicien reprend ses droits : l’élue UMP fait aussi peut-être les frais d’une simple guéguerre droite-gauche, opposition-majorité, en particulier suite au dépôt de sa proposition de loi sur la neutralité du Net. Interrogé par Owni sur l’absence de Fleur Pellerin, la ministre de l’économie numérique, à l’événement, son cabinet explique qu’elle est en déplacement à Marseille. Difficile en revanche de connaître la raison des défections des autres membres du ministère. Hasard, ou boycott politique. Qu’on espère derrière OVEI pour sa prochaine édition.


Toutes les interventions ont été enregistrées et on fait l’objet d’un compte-rendu, à retrouver sur le site de l’OVEI.

Photos sous licences Creatives Commons par D.Clow (CC-bync) et Pierre Beyssac (CC-by) (merci à lui!), remixées par Ophelia Noor pour Owni

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés